L’effroyable catastrophe du 7 février 1871
L’effroyable catastrophe du 7 février 1871
Extrait de l’ouvrage d’Emile Bouchet «année terrible à Dunkerque»
Pour fournir des munitions à l'armée du Nord, un atelier de fabrication de cartouches avait été primitivement établi 21 rue des Vieux-Quartiers, puis, sur les réclamations très vives du voisinage, transféré au Casino où il se trouvait éloigné de toute habitation.
L'armistice (26 janvier 1871) n'avait nullement ralenti la fabrication qui occupait, tant à l'intérieur de l'atelier que dans la ville même, un grand nombre de femmes et d'enfants.
Il s'agissait de la confection à domicile des étuis qui étaient ensuite chargés au Casino.
Le 7 Février, depuis le matin, on travaillait avec ardeur dans l'atelier du Casino où environ 150 femmes et enfants étaient réunis sous la direction du contremaître Marcq. Vers neuf heures, quelques promeneurs attirés par le beau temps se promenaient le long du quai.
Tout à coup retentit une explosion terrifiante; ce n'était ni un coup de canon ni un coup de tonnerre, on eût dit plutôt une formidable trombe balayant tout devant elle et menaçant de renverser les passants.
Le vieux Casino vient de sauter. La conflagration de la poudre a immédiatement dégagé une quantité considérable de gaz rejetant au dehors les parois peu résistantes de planches qui constituent la clôture de l'établissement.
Le cône pyramidal qui forme la toiture est violemment soulevé, puis s'effondre d'une seule pièce sur le sol, recouvrant complètement tout le contenu de l'atelier, personnel, matériel, barils de cartouches et approvisionnements divers, nécessaires à cette fabrication. Une immense colonne de fumée blanche zébrée de flammes, monte vers le ciel et, de toutes parts, retentissent des détonations. Ce sont les barils de cartouches qui explosent à mesure que le feu les atteint. On dirait un volcan d'où s'échappent des cris atroces et terrifiants de souffrance, de douleur.
Chacun se précipite sur le lieu du sinistre : les premiers venus sont les promeneurs, puis les douaniers de garde sur le quai, les équipages des remorqueurs. Les embarcations qui sillonnent le chenal abordent en toute hâte, tous se précipitent pour arracher quelques victimes à la mort : déjà aux environs, des ouvrières affolées, brûlées, éperdues, se sont sauvées de la fournaise, mais c'est là le petit nombre ; un spectacle inoubliable dans son horreur se présente aux yeux des premiers sauveteurs.
Les marins se précipitent comme à l'assaut, entraînés par le lieutenant de vaisseau de Maigret. Les douaniers les imitent et se multiplient; Deux de ceux-ci, les préposés Bouquet et Paitre, aidés du matelot Claeyssen et de l'ouvrier charpentier Conne, arrachent aux flammes quatre victimes. Mais hélas! combien sont impuissants les efforts de tous ceux qui sont là en présence de l'étendue du désastre et que de scènes atroces viennent terrifier les sauveteurs.
Plus loin, trois femmes sont ensevelies vivantes et non blessées sous un amas inextricable de poutres enchevêtrées : deux, blotties dans un coin ont gardé la liberté de leurs mouvements, la troisième a le cou pris comme par un garrot entre deux pièces do bois énormes. Elles poussent des cris déchirants qui attirent un des premiers arrivés sur le lieu du sinistre. On se consume en vains efforts. Le feu gagne de proche en proche, fait sauter l'un après l'autre les barils de poudre et cartouches. Le danger augmente, enfin la place n'est plus tenable, il faut s'éloigner et les trois victimes sont brûlées vives.
Mais les secours ont afflué, les travailleurs ne manquent plus. Pompiers municipaux, marins qui ont amené les pompes des navires en rade, combattent l'incendie avec succès : puis les scies, les haches maniées par des bras vigoureux dégagent le sol des amas de poutres et de planches qui le recouvrent. On en retire des débris humains, carbonisés et méconnaissables, des cadavres, des blessés atrocement brûlés ou mtfilés pour la plupart et dont beaucoup ne survivront pas à leurs blessures. Médecins, chirurgiens se prodiguent. On les entoure, on les entourera longtemps encore, de soins avec un dévouement intelligent et attentif.
Beaucoup devront la vie à Mademoiselle Saury, Directrice de la Crèche Ste-Eugénie, qui pendant plusieurs semaines ne tiendra pas compte de sa fatigue pour arracher les victimes à la mort.
Ces victimes étaient trop nombreuses pour qu’on ne voulût jamais en donner le nombre. Dans le premier émoi, les journaux parlèrent de 80 femmes et enfants blessés arrachés des décombres et de vingt-trois cadavres, mais on fit le silence ensuite et l'on n'a jamais connu avec précision ni le chiffre des morts, ni les causes de la catastrophe. L'Administration, sans doute, procéda à une enquête.
Le silence douloureux n'était-il pas, du reste, ce qui convenait le mieux d'observer dans le deuil public qui frappait la cité et qui se traduisit avec une incomparable dignité dans la manifestation grandiose des honneurs funèbres accordés aux victimes? L'Hôtel de Ville était bien là maison mortuaire qui convenait à ces victimes obscures de la guerre et du devoir ; vingt-neuf cercueils y furent réunis. C'est de là qu'ils partirent, sur trois galères de brasseurs, pour être conduits à Saint-Eloi où un service solennel fut célébré avec toute la pompe impressionnante de ces lugubres cérémonies.
Sous l'escorte de toute la garde nationale réunie, un immense concours de peuple conduisit à leur dernière demeure les infortunés que la mort avait subitement ravis
La fournaise a englouti des pères, des mères, des frères, des soeurs, des cousins, des cousines; il en est qui ont été frappées dans plusieurs de leurs membres.
M. d'Arras(maire) publiait un arrêté dans lequel il était dit que toute manifestation, tous divertissements, toutes réjouissances publiques sont formellement interdits pendant le carnaval et Le congé des jours gras des élèves du collège fut également supprimé.
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