LA RECONSTRUCTION DE DUNKERQUE
la direction bicéphale de la reconstruction de Dunkerque
Théodore Leveau (1896/1971) Jean Niermans (1897-1989)
Le choix de Théodore Leveau semble logique. Formé auprès de l'architecte-paysagiste Jean-Claude Nicolas Forestier à l'École des beaux-arts de Paris, il s'est construit une solide réputation entre les deux guerres: entre 1925 et 1930, il a proposé le plan d'urbanisme de La Havane (Cuba) et a travaillé sur divers projets en Europe et en Afrique du Nord. Il a également été nommé architecte spécialiste auprès du ministère turc des Travaux publics de 1935 à 1942.
Depuis 1943, Théodore Leveau collabore avec l'inspecteur général du Nord, Jacques Gréber . En plus de sa charge à Dunkerque, il participe à l'élaboration des plans de reconstruction de Lille et de Béthune. Installé à Lille au grand déplaisir du conseil municipal de Dunkerque qui aurait souhaité qu'il habite la ville durant sa reconstruction, Théodore Leveau devient, à partir de 1945, responsable en chef de la reconstruction de Dunkerque et élabore le plan de reconstruction et d'aménagement.
Jean Niermans est nommé en 1946 en tant qu'architecte en chef de Dunkerque. Grand Prix de Rome, il est choisi pour ses réalisations passées qui démontrent son intérêt pour l'architecture moderne (Pinchon, 1985). Il a notamment travaillé sur le Trocadéro à Paris, au moment de l'exposition universelle de 1937. Durant la Reconstruction de Dunkerque, il travaille également pour l'Administration des Bâtiments civils et des Palais nationaux.
L’approbation des plans de reconstruction,
Le plan de reconstruction et d'aménagement de Thèodore Leveau (prèsenté en 1945) intègre les six communes de l'agglomération dunkerquoise (Dunkerque, au centre, et, autour, Malo-les-Bains, Rosendaël, Coudekerque-Branche, Petite Synthe et Saint-Pol-sur-Mer).Ce plan sera après de nombreux amendements, finalement approuvé à l'unanimité lors de la séance extraordinaire du conseil municipal le 27 mars 1948.
Il divise l'agglomération en vastes zones (industrielle, portuaire et d'habitation) afin d'anticiper la croissance future des activités économiques et éviter les problèmes de mauvaise cohabitation et de surpeuplement d'avant-guerre.
Il établit une claire distinction entre la zone portuaire, dont la reconstruction est du ressort du Service maritime des Ponts et Chaussées,
et le reste de la ville-centre.
Le quartier de la Citadelle, qui fait face au centre-ville, se trouve ainsi coupé du reste de la ville. Pour le centre-ville de Dunkerque, il opte pour une approche en douceur, voire culturaliste: il conserve l'ancienne trame des rues. Il élargit toutefois l'emprise afin de l'adapter aux impératifs de la vie moderne. Dans le centre, il envisage une restructuration complète des îlots, inspirée du modèle des cités-jardins. Il diminue la densité de l'habitation de près de moitié et profite des anciens terrains militaires et anciennes fortifications pour y aménager d'autres zones résidentielles.
Le remembrement permet de mettre en place les principes de l'urbanisme moderne promu par le gouvernement (des îlots plus aérés, plus de verdure et circulation de l'air facilitée), mais jette également les bases pour une société a priori égalitaire, puisque l'individu disparaît au profit de l'association. À l'échelle de l'îlot, avant que toute reconstruction ne soit possible et afin d'obtenir les fonds nécessaires, l'architecte de groupe, aussi appelé architecte d'îlot, doit procéder au montage des dossiers des sinistrés et présenter un plan-masse, par le biais de l'architecte en chef Jean Niermans, à Théo Leveau qui approuve - ou non - les plans. Le visa d'approbation obtenu, le financement peut alors être alloué. Les architectes d'opération, responsables d'un ou de plusieurs chantiers de l'îlot, procèdent à la reconstruction des logements. À cause de la particularité du remembrement, il arrive que les biens d'un propriétaire soient répartis sur plusieurs étages, voire plusieurs immeubles. L'unité esthétique de l'îlot est du ressort de J'architecte de groupe qui dessine les façades. Le style MRU (ministère de la reconstruction et de l’urbanisme) est né.
Après avoir défini l'ensemble, Théo Leveau s'attelle à définir l'îlot-type de la reconstruction. II le décline sous trois formes:
Le cœur de la ville
Il est un des nouveaux quartiers de la ville.
Paul Gélis (1887-1975), architecte en chef des Monuments historiques, est alors nommé. Il travaille également à la reconstruction de la viIle de Bergues. Son attachement à une architecture très régionaliste explique le parti qu'il prend pour Bergues une reconstruction «à la flamande».
S'associant à son fils Jean, il propose pour l'îlot 34 une réinterprétation du vocabulaire flamand: toits à pignons, appareillage de la brique, découpage symbolique de la façade qui donne l'impression de pouvoir différencier les propriétaires, même si l'intérieur s'organise comme les autres immeubles de la reconstruction.
Le projet ne se fait toutefois pas sans heurts. Paul Gélis est également responsable du réaménagement autour de l'église Saint-Éloi et, notamment, de la reconstruction du presbytère. Il entame des discussions avec Théo Leveau, qui souhaite que le bas-côté nord de la nef soit dégagé pour en faire un espace vert, et avec l'équipe du service de l'aménagement du territoire de la Direction générale de l'urbanisme, de l'habitation et de la construction du ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme, qui s'interroge sur la démarche à suivre par rapport à l'encadrement du beffroi.
Les membres du conseil municipal sont tiraillés entre les doléances des propriétaires, les choix de Jean Niermans et Théo Leveau et les finances gouvernementales. Il semblerait que Niermans, par respect pour l'architecte, mais aussi par défi architectural, ne discute pas les propositions de Paul Gélis, surtout que le remembrement, lui, respecte les directives gouvernementales; de la multitude de lots d'avant-guerre, deux îlots orientés sont aménagés et s'ouvrent sur une aire de stationnement et sur les halles Baltard, maintenant disparues
Les revendications croissantes de la population, qui trouve que la Reconstruction prend du temps et devient contraignante. La réalité de la ville en reconstruction est bien loin du futur promis dans les discours des politiciens: les remboursements des dommages de guerre sont longs et laborieux, la vie dans les cités provisoires est malgré tout difficile et les journaux annoncent constamment le recul de l'année d'achèvement des travaux de la Reconstruction. Il faut donc maintenir à la fois l'espoir et l'intérêt, tant au niveau national (d'autant plus que le gouvernement fait face à une instabilité politique) qu'au niveau municipal. Les journaux locaux et certaines entreprises privées maisons d'édition de cartes postales (voir les éditions de Joseph Top), prennent le relais de ce discours sur l'image de Dunkerque en reconstruction.
Ensemble "Gustave Robelet" du nom du maire acteur majeur de la reconstruction. |
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