David d’Angers et la Statue de Jean Bart
David d’Angers et la Statue de Jean Bart
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L'œuvre du maître est connue. L'image de Jean Bart est demeurée populaire. |
« J'ai voulu, écrira David, indiquer que Jean Bart arrive à l'abordage et appelle ses soldats par un geste qui peut être vu de tout son monde. »
Ces simples mots nous dispensent de décrire l'ouvrage. La résolution de la pose, l'allure intrépide ont l'éloquence d'un cri de victoire.
La figure de Jean Bart tient tout ensemble de l'œuvre plastique et de la parole, tant il y a d'enthousiasme et de soudaineté dans la statue du brûleur de flottes. C'est bien ainsi qu'on se représente le chef d'escadre, mais il semble que l'attitude, le regard, l'élan du hardi marin, saisissables pour l'œil de la pensée, devaient défier le ciseau.
La matière ne fait-elle pas obstacle au mouvement? David a su triompher de la matière. Image coulée d'un seul jet, le Jean Bart, après quelque trente ans, paraît encore du bronze en fusion sous lequel on sent palpiter l'héroïsme. Vienne la critique signaler la dépression des hanches ou le volume exagéré de la tête, ces taches légères disparaissent devant l'action brillante, la résolution, le commandement, qui résument si bien dans cette œuvre la valeur guerrière du marin devenu l'épée de son pays. Le caractère moral du sujet est gravé avec énergie sur le monument de Dunkerque : à cet accent, nous reconnaissons une fois de plus l'artiste penseur. D'autre part, le sculpteur se révèle à nous dans le choix du bronze pour cette figure agitée dont le geste eût effrayé le regard si David l'eût cherchée dans la pierre.
Esprit infatigable, le maître s'occupait encore de ce travail lorsqu'il eut la pensée d'ajouter au symbolisme de l'image par le caractère du piédestal. « Je regrette, écrit-il, de ne pas avoir pris l'initiative du piédestal de Jean Bart. J'aurais placé quatre obusiers à sa base. La plinthe de la statue eût porté sur un mat coupé, entouré de cordages et de fortes ancres. Aux angles, quatre étendards, des canons relevés, quelques accessoires maritimes, eussent aidé à retrouver une forme carrée. L'idée! l'idée! voilà l'important.
Certes, la forme est utile comme complément, mais elle n'est que l'alphabet.
Paroles pleines de sens qui résument toute la vie du maître, son œuvre aussi bien que sa doctrine. Quoi qu'on puisse penser de cette base décorative improvisée au courant de la plume pour le monument de Jean Bart, il n'est pas douteux qu'une œuvre sculptée gagnerait le plus souvent à ce que son piédestal cessât d'être tracé par une main d'architecte et appartînt de droit au statuaire.
(C'est Hippolyte Le Bas qui exécuta le dessin du piédestal du Jean Bart. A l'exemple de David, il offrit gratuitement son travail à la ville de Dunkerque).
David n'assista pas à l'inauguration du Jean Bart, qui eut lieu le 7 septembre 1845; mais, s'étant rendu quinze jours après à Dunkerque, il y fut l'objet de l'ovation la plus enthousiaste. Déjà un armateur de la ville avait décoré l'un de ses bâtiments du nom du statuaire, et c'est au bruit des acclamations que le David d'Angers était sorti de la rade. Le souvenir encore présent de ces honneurs pacifiques, le mérite de l'œuvre si gracieusement offerte par le maître, l'intention visible chez les habitants de
Dunkerque de faire oublier à l'artiste les compétitions fâcheuses qui avaient entravé pendant de longs mois l'exécution du Jean Bart, tous ces motifs dictèrent à la population la conduite qu'elle devait tenir vis-à-vis du sculpteur.
Le maire l'accueillit à son arrivée en lui souhaitant la bienvenue . Le jour suivant, la ville était pavoisée. A midi, les autorités, les pilotes, les marins, les pêcheuses « portant la hotte sur le dos, le filet sur l'épaule et le panier au bras», se groupaient autour du Jean Bart. M. Benjamin Morel, sans rien dire au maître du spectacle qui l'attendait, l'amena devant le monument. A peine eut-il paru que les cris, mille fois répétés, « Vive David d'Angers! » le saluèrent. Une cantate, accompagnée de fanfares, fut exécutée; puis, les corporations réunies s'organisèrent en cortège, et ce fut un défilé triomphal devant la statue. Un lieutenant de port offrit à David le titre de « citoyen de Dunkerque »; le lendemain, le maire, à l'issue d'un banquet, renouvelait cette offre à l'artiste. Et celui-ci, pénétré de gratitude, acceptait en termes émus ce droit de cité que Béziers lui avait également conféré, comme si la France eût cédé au besoin d'acclamer d'une frontière à l'autre son sculpteur national. Puis, avant de quitter la salle du banquet, se rappelant que plus d'une fois, pendant les rapides journées qui venaient de s'écouler, les compatriotes de Jean Bart avaient prononcé le nom de madame David, le maître proposa de porter un toast « aux dames de Dunkerque ».
Le troisième jour, accompagné de son jeune fils, le statuaire visitait le minck où toutes les marchandes l'attendaient. Or, pendant qu'elles lui offraient des fleurs en le saluant du titre de « Père de Jean Bart », ses yeux s'étant portés sur la madone placée à l'extrémité du minck, l'une des femmes s'approcha : « C'est là, lui dit-elle, l'image de la protectrice des marins. >>> David se découvrit aussitôt et resta silencieux1.
Quelques heures plus tard, l'artiste quittait Dunkerque avec son fils et se dirigeait vers Saint-Omer2.
Trois ans après, Dunkerque dépossédait de son nom la rue de Chartres et l'appelait « rue David d'Angers ».
Extrait de : David d’Angers sa vie son œuvre par Henry Jouin 1878
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