" Histoire de Reuze-Papa"



On s'est demandé souvent quelle était l'origine de ces géants si populaires dans le nord de la France et en Belgique.
Une opinion assez probable les fait venir de l'Espagne où le peuple symbolise, sous des figures gigantesques, les héros qui ont lutté contre les Arabes pour l'indépendance de la patrie. Maîtres des Pays-Bas au XVIe siècle, les Espagnols y avaient apporté leurs usages, leurs cérémonies et leurs fêtes. Quoi d'étonnant, dès lors, que nos géants soient des emprunts faits à l'Espagne.

Certains voient, dans les Reuzes, un souvenir de la reconnaissance populaire pour les ancêtres qui ont délivré notre territoire de brigands cruels et audacieux. D'autres prétendent qu'ils représentent les vaincus tombés dans les luttes sanglantes qui désolèrent le pays aux premiers temps de notre histoire. Quelques-uns enfin soutiennent que ces géants rappellent les sauvages tribus qui, débarquant sur nos côtes pendant l'obscurité des nuits, portaient le fer et la flamme jusque bien avant dans les terres; semblables aux druides gaulois, ils offraient en holocaustes, à leurs sanguinaires divinités, des victimes humaines dont ils remplissaient d'énormes mannequins d'osier.
Le système qui réunit le plus de probabilités sur l'origine de ces processions de la Flandre, est celui qui les considère comme un emprunt fait à l'Espagne. L'histoire autorise cette supposition en nous apprenant que les Espagnols des Pays-Bas, y portèrent leurs usages, leurs cérémonies et leurs fêtes.
La première mention probable des géants attribue un premier défilé au Portugal, dans la ville d’Alanquer, au XIIIe siècle. Le mouvement se .serait ensuite étendu à toute la péninsule ibérique.

Or, rien n'était autrefois plus mélangé de choses profanes et d'accessoires étrangers au culte, que les nombreuses processions de l'Espagne. A Valence, mais surtout en Catalogne, ces processions ne marchent pas (encore de nos jours) sans géants d'une grandeur prodigieuse, couverts de cuirasses et de casques, au corps formé de châssis de bois couverts de draperies, et recélant dans leurs flancs immenses un certain nombre d'hommes robustes qui les faisaient danser, sauter, pirouetter.
Douai possède aussi un géant appelé Gayant (un premier défilé est mentionné en 1530); il y a même là toute une famille et c'est une cérémonie qui ne manque pas d'attirer des environs un concours immense de curieux quand à une occasion quelconque elle est décidée.


Voir les aquarelles du carnaval sous la restauration
L'ancien Reuze, disent les traditions modernes, était accompagné d'un tambour-major, de quatre joueurs de cornemuse, d'un fifre et de tambours. Le pas de danse était réglé par les cornemuses, le pas de marche par le fifre et les tambours. Le tambour-major frappait le Reuze de son bâton et la nature du coup indiquait aux parleurs de l'intérieur l'espèce de mouvement qu'ils avaient à exécuter, et pendant toute la procession la chanson du Reuze se chantait en chœur à plusieurs reprises. En général, il ne se passe pas un carnaval sans une sortie du Reuze.
En 1696 Reuze est décrit ainsi:«Le nouveau Géant à cheval, habillé à la Romaine d'un beau drap bleu enrichi de Broderies par tout le corps, il, remuera la tète et les yeux et tiendra de la main gauche la bride de son cheval et de l'autre main une lance ; son cheval ne sera pas moins orné d'une belle house de drap bleu avec des fleurs de lis jaune parsemée et brodée avec les Armes du Roy et celles de la ville; la leste sera richement harnachée avec une houppe de plumages de plusieurs couleurs de trois pieds de hauteur tout exprimé au vif».
En Juillet 1744 Louis XV présent à Dunkerque vit passer Le Reuze et son cortège de la Fenêtre du cercle de l’union. En 1750,M. Jeanty, entrepreneur des ouvrages du Roy et Magistrat de Dunkerque, ainsi que M. Hector aussi Magistrat, fit faire de nouveaux géants à cheval et une nouvelle toile au vieux Reuze, et une géante, dite la Gentille (peut-on faire le rapprochement avec Mme Jeanty) et quatre petits Mens servant de pages à la Reusenne, deux blancs et deux noirs pour la procession de la Saint-Jean, de cette année


Dans une description publiée en 1757 on lit que le papa Reuze est une représentation en osier d'une hauteur qui aujourd'hui réduite donne à peu près 9 mètres, habillée de bleu avec des galons d'or, portée par des hommes qui la faisaient mouvoir à leur gré. Le personnage dansait, faisait la révérence et même inclinait la tête; il portait dans sa poche un enfant de trois mètres qui criait de toutes ses forces papa! Prenait et mangeait tous les comestibles qu'on lui donnait des fenêtres. Après le géant venait la géante (Reusenne) appelée Gentille; elle était également d'osier, mais un peu moins grande; elle était habillée de couleur rose, son visage coloré présentait la face d'une jolie femme. Cinq pages portaient sa queue et huit violons marchaient devant elle.
En 1761, le 24 Juin, jour de la St-Jean-Baptiste, les deux « marches », l'une religieuse et l'autre profane, avec la Géante et le Géant, ont lieu « en mémoire de l'année séculaire de l'heureux retour de la ville sous la domination de la France».
En 1770 les géants accompagnés de petits dauphins dansants, célèbrent le mariage du Dauphin de France avec Marie-Antoinette d'Autriche. Un conflit surgit à ce sujet entre l'assemblée de Magistrat de Dunkerque et l'évêque d'Ypres qui avait interdit la sortie de la procession. On fit donc une séparation plus complète entre les deux cortèges et l'incident fut ainsi aplani.
Le Comte d'Artois se trouvait à Dunkerque le 24 Juin 1775; après la revue des troupes, il se rendit chez les demoiselles Thelu sur la place Royale pour voir passer la procession profane ; il occupa la même place que Louis XV en Juillet 1744 et que Christian, roi de Danemark, en 1768, c'est-à-dire la dernière croisée du Sud. Il s'amusa beaucoup à voir la Géante Gentille, le Géant Reuze et le Géant à cheval.Une tradition populaire veut qu'à l'époque de la Révolution, le Reuze, vêtu de la carmagnole et coiffé du bonnet rouge, fut promené au milieu du peuple étonné de cet accoutrement grotesque.
Lors de la Révolution, la Reusenne disparaît; les Commissaires de la Commune ayant probablement tenu à détruire le plus grand nombre possible des souvenirs du passé; Dans sa séance du 20 Juillet1792 le Conseil de la Commune ordonna la vente des objets qui servaient aux anciennes processions et, qui dépérissaient dans les greniers de l'Hôtel de Ville. Les têtes de Reuze et de Cupidon adjugées à M. Thibaut médecin, furent, après son décès acquises par M. Tresca-Denys, puis de celui-ci par M, Woutermartens, Enfin M. Schoutheer père, en était, devenu possesseur, elles ont à sa mort en 1851 passé à son fils qui l'année suivante en fit don à la ville. Cette même tête de Cupidon a servi au nouveau Reuze qui a figuré dans les cortèges de bienfaisance de 1837, 1846, 1847 et 1848.
La tête de la Reuzinne fut achetée par M. Woestyn père qui la déposa à sa campagne au Rosendaël, mais après la levée du siège par le Duc d'Yorck, elle ne fut pas retrouvée. En 1847 Reuze paru pour une fête de bienfaisance, le but proposé fut rempli, les nombreuses et incessantes collectes rapportèrent aux pauvres des secours que le bureau de bienfaisance était impuissant à donner, les rigueurs excessives de l'hiver ayant épuisé toutes ses ressources.
en1848 c'est un immense cortège mythologique, historique, artistique, imaginé à l'occasion de l'inauguration du chemin de fer.
Le cortège du Reuze se mit en marche à travers la ville. En tête s'avançait le héraut d'armes portant la bannière de Dunkerque, suivi d'un groupe personnifiant les armes de la ville ; puis venaient, alternant avec des corps de musique, la bannière des quatorze amiraux, celle de Jean Bart portée par un capitaine de pêche en costume du dix-septième siècle; Apparaît ensuite un grand char, ayant la forme d'une dunette de navire, et portant Jean Bart, chef d'escadre entouré de sa famille et de son équipage valeureux, historiquement revêtus des costumes du temps de Louis XIV, époque demeurée particulièrement chère à Dunkerque. Ce char est suivi des pêcheuses de crevettes grises, nommées dans le pays grenades.( crevettes, en flamand garnaets) Leur bande joyeuse, parée de ses plus beaux atours, est facilement reconnaissable aux divers attributs ou instruments de pêche que chacune tient à la main.
Sur un autre char, voici une tabagie flamande au grand complet (panne kuke-huys. maison de crêpes), avec son hôtelier eu bonnet de coton, ses brocs, ses chopes et ses buveurs intrépides entre lesquels brille de tout l'éclat d'un tricorne imposant dont la vue seule doit glacer d'épouvante les maraudeurs, le garde-champêtre . Pendant qu'on boit dans la taverne, qu'on fume rit et fait des crêpes magnifiques, la poule caquetant au haut du toit de chaume, le dindon qui glousse,le pigeon qui roucoule complètent l'illusion de ce véritable tableau animé.Voici venir maintenant les bazennes, matelotes, c'est-à-dire femmes de matelots, avec la jupe retroussée du temps de Louis XV.
Un autre char s'avance portant une embarcation moderne montée par des matelots bayonnais en costumes et bérets basques. Puis c'est une noce normande, la mariée et le marié grimpés sur le même cheval et tout le cortège en culottes courtes, cols de chemise démesurés, habits vert-pomme et chapeaux tromblons fabuleux for-mant à leur suite la plus brillante cavalcade... à ânes.
Voici maintenant une compagnie de grenadiers consulaires dans une tenue irréprochable. Plus loin, remorqué par une locomotive, le char de la République et de la ville de Dunkerque réunissant leurs attributs et leurs emblèmes. Ce char est en forme de conque ; il est immense et contient un grand nombre de personnages Puis enfin les armes marchantes de Dunkerque portées derrière le char de Jean Bart par un chevalier à queue de sirène et en pantalon quadrillé, formant tout à la fois le support et le cimier de l'écu. Devant le char du même, on voyait sa bannière portée par un capitaine de pêche du XVII siècle, et celles des quatorze amiraux qui ont vu le jour à Dunkerque. Enfin, tout le cortège, entrecoupé de dix corps de musique, tous excellents, tous très-nombreux, appartenant à la garde nationale, était précédé d'un héraut en costume splendide qui tenait à la main la bannière bleue et blanche de Dunkerque. Les géants de Douai, Gayant etsa famille Reuze, fermaient le cortège.
La kermesse du 24 juin 1886 sonne la dernière heure du Reuze porté. C'est le début d'une série de grands voyages pour notre géant : il est à Bruxelles en 1890, à l'occasion de la fête de l'indépendance belge, à Lille en 1892, à Gand en 1896. Il y convoite une géante flamande, dont la généalogie remonterait au XIVème siècle, qui accepte de le prendre pour époux. Le mariage est célébré avec fastes, on construit même à Reuze Papa une Reuzinne et un Kindje. La Reuzinne est également appelée Mietje-Gentille (Miejte est le diminutif de Marietje et Gentille renvoie au prénom de la première géante). Le kindje se nomme Piet'je, diminutif de Piet, Pierre en Flamand. On le dotera plus tard (probablement lorsque l'on décidera de donner à Piet'je une forme adulte) d'un petit frère, Bout'je, qui doit son prénom au diminutif dunkerquois couramment utilisé pour désigner un jeune enfant.

Au début du XXème siècle, les fils électriques qui quadrillent la ville pour alimenter le tramway décapitent à plusieurs reprises le Reuze, qui est bientôt contraint à l'immobilité. La posture du géant a en effet bien changé et n'a plus rien de celle d'un glorieux guerrier : on l'assied pour lui permettre de passer sous les fils électriques et on lui place son kindje dans les bras.
En 1910, il se rend, à Valenciennes, à un colossal rassemblement de géants. Il ne supporta pas ce voyage.
1924 est l'année de la renaissance pour Reuze Papa : après avoir été endommagé pendant la guerre, il est rénové,doté d'une nouvelle tête, et est équipé d'un système de monte-et-baisse qui lui permet de passer sous les fils du tramway.
En 1928 à Cassel, il prend part accompagné d'une Reuzinne et de neuf petits géants, à une procession réalisée en l'honneur du maréchal Foch. Ces neuf petits géants sont ses deux enfants et ses sept gardes : Allowyn, Bambin, Dago-bert, Gélon, Goliath, Roland, Samson. Allowyn doit son nom au guerrier scandinave de la légende du Reuze, et Dagobert est le roi de France dont Saint-Eloi fut ministre. Gélon fut roi de Syracuse, et Goliath et Samson sont deux personnages bibliques, l'un connu pour sa taille c'est le géant que battut David -, l'autre pour sa force. Quand à Bambin, c'est le nom que portait le fils du Reuze d'avant la Révolution.
A l'issue de la Seconde Guerre Mondiale, Reuze Papa fait partie des rares monuments" de Dunkerque à tenir encore debout :
dès 1947, il participe au défilé de la mi-carême. Mais les "préposés aux perches"chargés depuis l'instauration du système de monte-et-baisse de lever les fils du tramway au passage du géant ont perdu la main et le Reuze est décapité suite à une erreur de manipulation.
en 1952 les Dunkerquois purent admirer la nouvelle tête de leur géant.
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En 1956, ses vêtements bénéficient à leur tour d'un rajeunissement : le Reuze est sa famille sont rhabillés à grands frais. Le géant, drapé de son nouveau costume de romain, remporte cette année-là, à Lille, le prix du plus beau géant français.
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En 1962, coïncidence le tricentenaire du rattachement définitif de Dunkerque à la France : Reuze Papa prend activement part aux festivités, en juin, et défile escorté de nombreux géants flamands et artésiens. Auparavant, il aura de nouveau eu droit à un dépoussiérage.
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