HISTOIRE " 1713/1715 DEMOLITION DU PORT DE DUNKERQUE " traité d' Utrecht.
1714 1710
Le conflit diplomatique entre la France et l’Angleterre de 1713 à 1715
Pour la démolition du port de Dunkerque
Pour la démolition du port de Dunkerque
Rappel :
le protocole signé le 8 octobre 1711 entre la France et l’Angleterre stipulait que Louis XIV consentirait à la démolition de Dunkerque «immédiatement après la conclusion de la paix, à condition qu'on lui donnerait un équivalent à sa satisfaction ».
Cette même clause fut reproduite dans l'accord de juin 1712 qui décidait une suspension d'armes entre les deux puissances et autorisait l'Angleterre à placer une garnison à Dunkerque.
Enfin, l'article 9 du traité de paix conclu à Utrecht le 11 avril 1973, consacra définitivement la ruine de Dunkerque.
Article 9.
« Le Roy T.C. fera raser toutes les fortifications de la ville de Dunkerque, combler le port, ruiner les écluses, qui servent au nétoiement dudit port, le tout à ses dépends et dans le terme de cinq mois après la paix conclue et signée, savoir : les ouvrages de mer dans l'espace de deux mois, et ceux de terre avec lesdites écluses dans les trois suivants, à condition encore que lesdites fortifications, ports et écluses ne pourront jamais être rétablis, laquelle démolition toutefois ne commencera qu'après que le Roy T.C. aura été mis en possession généralement de tout ce qui doit être cédé en équivalent de la susdite démolition ».
le protocole signé le 8 octobre 1711 entre la France et l’Angleterre stipulait que Louis XIV consentirait à la démolition de Dunkerque «immédiatement après la conclusion de la paix, à condition qu'on lui donnerait un équivalent à sa satisfaction ».
Cette même clause fut reproduite dans l'accord de juin 1712 qui décidait une suspension d'armes entre les deux puissances et autorisait l'Angleterre à placer une garnison à Dunkerque.
Enfin, l'article 9 du traité de paix conclu à Utrecht le 11 avril 1973, consacra définitivement la ruine de Dunkerque.
Article 9.
« Le Roy T.C. fera raser toutes les fortifications de la ville de Dunkerque, combler le port, ruiner les écluses, qui servent au nétoiement dudit port, le tout à ses dépends et dans le terme de cinq mois après la paix conclue et signée, savoir : les ouvrages de mer dans l'espace de deux mois, et ceux de terre avec lesdites écluses dans les trois suivants, à condition encore que lesdites fortifications, ports et écluses ne pourront jamais être rétablis, laquelle démolition toutefois ne commencera qu'après que le Roy T.C. aura été mis en possession généralement de tout ce qui doit être cédé en équivalent de la susdite démolition ».
Sources: la revue du nord (1925)
Le représentant de Louis XIV à Dunkerque était Claude Le Blanc, l'Intendant de la Flandre maritime, qui se montra aussi habile négociateur qu'administrateur énergique et actif, et ardent défenseur des intérêts du royaume.
Louis XIV croyait que l'Angleterre le laisserait libre de décider de la succession des travaux. Le directeur des fortifications Le Pelletier de Souzy avait prescrit à l'ingénieur de Moyenneville, qui devait diriger la démolition des fortifications et le comblement du port, de commencer à détruire simultanément les forts des jetées et les autres forts du front de mer en même temps qu'on ouvrirait des brèches dans l'enceinte de la ville et de la citadelle, en retardant le plus possible le comblement du port et la destruction des jetées et des écluses fermant les canaux qui aboutissaient dans le port.
Les travaux devaient être exécutés par les soldats de six bataillons français et suisses, envoyés dans ce but à Dunkerque.
Les commissaires anglais ayant accepté ce plan de démolition, les travaux commencèrent le 9 octobre au matin.
Vers 11 heures, les commissaires les firent suspendre prétextant avoir reçu de nouveaux ordres la veille au soir.
Le Blanc, qui était à Bergues, revint immédiatement à Dunkerque ; la journée du 9 et la matinée du 10, se passèrent en conférences et il fut décidé qu'on ne démolirait ni le corps de place, ni la citadelle et qu'on ne s'attaquerait aux ouvrages extérieurs qu'après que tous les forts du front de mer seraient détruits. Les Anglais, en agissant ainsi, avaient un double but : retarder le plus possible la démolition de la place dans l'espoir d'y maintenir leur garnison et protéger cette garnison par les puissantes fortifications du corps de place et de la citadelle contre une attaque des troupes françaises en cas de conflit.
Louis XIV et de Torcy comprenant le but recherché par les ministres anglais en faisant soulever des difficultés par les commissaires, manœuvrèrent pour s'y opposer.
D'une part, Louis XIV faisait savoir à Le Blanc, par le Secrétaire d'Etat à la guerre Voisin, que c'était lui qui était chargé par le traité de paix de démolir Dunkerque et qu'il n'était pas spécifié dans ce traité que la manière dont les travaux devaient être conduits serait réglée par la Reine d'Angleterre. D'autre part, dans une instruction remise â d' Iberville, qui, comme chargé d'affaires, allait partir remplacer à Londres l'ambassadeur français, le duc d'Aumont, qui rentrait à Versailles, le Roi rappelait que l'ambassadeur anglais Prior, avait prétendu à diverses reprises «qu'il convenait également au Roi et à la Reine de laisser les Anglais dans Dunkerque et de retarder la démolition jusqu'à ce que la Hollande, craignant les suites de cette prolongation, devint plus facile sur l'article d'Ostende et sur celui du commerce ».
Le représentant de Louis XIV à Dunkerque était Claude Le Blanc, l'Intendant de la Flandre maritime, qui se montra aussi habile négociateur qu'administrateur énergique et actif, et ardent défenseur des intérêts du royaume.
Louis XIV croyait que l'Angleterre le laisserait libre de décider de la succession des travaux. Le directeur des fortifications Le Pelletier de Souzy avait prescrit à l'ingénieur de Moyenneville, qui devait diriger la démolition des fortifications et le comblement du port, de commencer à détruire simultanément les forts des jetées et les autres forts du front de mer en même temps qu'on ouvrirait des brèches dans l'enceinte de la ville et de la citadelle, en retardant le plus possible le comblement du port et la destruction des jetées et des écluses fermant les canaux qui aboutissaient dans le port.
Les travaux devaient être exécutés par les soldats de six bataillons français et suisses, envoyés dans ce but à Dunkerque.
Les commissaires anglais ayant accepté ce plan de démolition, les travaux commencèrent le 9 octobre au matin.
Vers 11 heures, les commissaires les firent suspendre prétextant avoir reçu de nouveaux ordres la veille au soir.
Le Blanc, qui était à Bergues, revint immédiatement à Dunkerque ; la journée du 9 et la matinée du 10, se passèrent en conférences et il fut décidé qu'on ne démolirait ni le corps de place, ni la citadelle et qu'on ne s'attaquerait aux ouvrages extérieurs qu'après que tous les forts du front de mer seraient détruits. Les Anglais, en agissant ainsi, avaient un double but : retarder le plus possible la démolition de la place dans l'espoir d'y maintenir leur garnison et protéger cette garnison par les puissantes fortifications du corps de place et de la citadelle contre une attaque des troupes françaises en cas de conflit.
Louis XIV et de Torcy comprenant le but recherché par les ministres anglais en faisant soulever des difficultés par les commissaires, manœuvrèrent pour s'y opposer.
D'une part, Louis XIV faisait savoir à Le Blanc, par le Secrétaire d'Etat à la guerre Voisin, que c'était lui qui était chargé par le traité de paix de démolir Dunkerque et qu'il n'était pas spécifié dans ce traité que la manière dont les travaux devaient être conduits serait réglée par la Reine d'Angleterre. D'autre part, dans une instruction remise â d' Iberville, qui, comme chargé d'affaires, allait partir remplacer à Londres l'ambassadeur français, le duc d'Aumont, qui rentrait à Versailles, le Roi rappelait que l'ambassadeur anglais Prior, avait prétendu à diverses reprises «qu'il convenait également au Roi et à la Reine de laisser les Anglais dans Dunkerque et de retarder la démolition jusqu'à ce que la Hollande, craignant les suites de cette prolongation, devint plus facile sur l'article d'Ostende et sur celui du commerce ».
Bien que Louis XIV fût persuadé «qu'une union parfaite avec l'Angleterre est le moyen le plus assuré de conserver le repos de l'Europe », il ne jugeait pas qu'il convint à ses intérêts «de laisser longtemps entre les mains des Anglais une place telle que Dunkerque avec toutes ses fortifications».
Une révolution étant toujours à redouter en Angleterre, «la prudence ne permet pas de se mettre en état de dépendre des événements lorsqu'on est libre, et que nul engagement n'oblige à s'y assujettir ».
En conséquence, le Roi désirait exécuter le plus promptement possible les clauses de l'article 9 du traité d'Utrecht et voir les Anglais repasser la mer.
Cette résistance de Louis XIV, ayant irrité les ministres anglais, ils avaient chargé Prior de faire savoir «que puisque le Roi voulait que le traité fut exécuté, la Reine devait y consentir, mais qu'elle demandait aussi que l'exécution fut exacte et que les clauses de l'article 9 fussent ponctuellement observées ». C'était en termes clairs avertir Louis XIV qu'il fallait abandonner tout espoir de conserver le port de Dunkerque et qu'on allait s'en tenir, pour la démolition, à la lettre même du traité.
Le Roi prévoyant que les commissaires chercheraient à soulever toutes les difficultés possibles, recommandait en conséquence à d’Iberville de faire «hâter la démolition totale des fortifications en sorte que les troupes anglaises sortent de cette place le plus tôt qu'il sera possible ».
Les difficultés allaient en effet commencer à Dunkerque. Le 14 novembre, inspectant avec Le Blanc les travaux, les commissaires lui déclarèrent que, d'après leurs ordres, l'enceinte de la place devait être rasée jusqu'à la fondation. Le Blanc ayant répondu qu'il convenait de conserver des portions des courtines qui, réunies par des murs, constitueraient la future clôture de la ville, les commissaires, se retranchant derrière les ordres reçus de la cour d'Angleterre, répliquèrent qu'ils ne souffriraient aucune clôture, fut-elle une palissade. Comme le faisait observer Le Blanc, même démantelée et son port comblé «Dunkerque serait une ville assez considérable pour mériter d'être fermée».
De Torcy remit à d’Iberville un long mémoire sur cette question, pour en entretenir les ministres anglais à son arrivée à Londres. Il faisait remarquer que rechercher sous terre les fondations et les démolir, allait entraîner le Roi à une dépense considérable, que, même si il y consentait pour être agréable à la Reine, ces travaux retarderaient considérablement la démolition, les fossés de la place se remplissant d'eau à chaque marée, de sorte qu'on ne pouvait exécuter le travail qu'à marée basse. Empêcher que Dunkerque après son démantèlement conservât une clôture, comme un simple bourg «ce serait pousser la précaution, pour ne pas dire la défiance, si loin qu'on ne peut pas s'imaginer que la Reine ait donné ces ordres à ses commissaires. On ne doute point qu'au contraire elle veuille bien leur en donner de précis de ne point s'opposer à la diligence avec laquelle le Roi veut faire exécuter le traité ».
Abandonnant pour un temps, la question de la clôture de la ville, les commissaires allaient soulever de grandes difficultés au sujet de la démolition des écluses qui fermaient les canaux aboutissant dans le port de Dunkerque. Ces canaux servaient non seulement à amener à Dunkerque les bélandres chargées des produits de la Flandre, mais ils drainaient les eaux des terres basses qui environnaient la ville. A marée basse, on ouvrait les écluses auxquelles aboutissaient les canaux et par ces puissantes chasses d'eau on déblayait le port et le chenal entre les deux jetées des vases et des sables que la marée montante y avait amenés.
Lorsque Bolingbroke quitta la France en août 1712, après avoir signé avec de Torcy les préliminaires de paix entre l'Angleterre et la France, il s'embarqua à Dunkerque, et Le Blanc profita de son passage pour lui démontrer que, si on détruisait les écluses des canaux, le pays serait en grande partie submergé par les eaux. Ayant visité la place et le port, Bolingbroke convint que les écluses «ne faisaient pas partie des fortifications et qu'il ne voyait pas d'inconvénient à les laisser subsister ».
Malgré cette promesse du premier ministre anglais, lors de la discussion des articles du traité de paix à Utrecht, Louis XIV fit adresser par de Torcy un mémoire à ses plénipotentiaires ainsi qu'à Prior, dans lequel il faisait observer qu'il était nécessaire de distinguer à Dunkerque entre deux sortes d'écluses : les unes servant à nettoyer le port, les autres à retenir les eaux pour empêcher l'inondation des terres. La destruction de ces dernières écluses, qui ne faisaient pas partie des fortifications, «ne servirait qu'à ruiner le pays sans produire aucun avantage à l'Angleterre ». L'article 9 du traité n'établit pourtant aucune distinction entre les écluses.
Aussi lorsqu'il apprit l'arrivée prochaine des commissaires anglais à Dunkerque, Le Blanc fit part à Voisin de ses craintes au sujet de la démolition des écluses. Très optimiste à l'époque, Voisin calma ses appréhensions, lui affirmant que toutes les fois qu'on avait entretenu les ministres anglais des écluses «ils n'avaient fait aucune difficulté de s'expliquer que la Reine d'Angleterre n'en demanderait pas la démolition ». Il était persuadé que les commissaires seraient instruits des intentions de la Reine à ce sujet (3). Voisin ignorait que les commissaires étaient en possession d'instructions secrètes rédigées par le Conseil des ministres de la Reine Anne le 31 juillet 1713, leur prescrivant de prendre un soin particulier pour que les écluses de Bergues et de la Moëre «soient tellement détruites et ruinées qu'il n'y reste pas une seule pierre ou pilotis », que des digues soient établies dans les canaux en aval et en amont des écluses et que l'espace entre ces digues soit empli de la terre prise au rempart le plus proche. Seule l'écluse du canal de Furnes pourrait subsister si elle était absolument indispensable pour empêcher l'inondation des terres.
Ce fut fin novembre 1713 que la question de la démolition des écluses commença à venir en discussion entre Le Blanc et les commissaires. Se prévalant de sa qualité d'ingénieur, Armstrong insista auprès de l'intendant pour que l'écluse de la Moëre fût détruite.
Le Blanc refusa tant qu'il n'aurait pas reçu les ordres du Roi : Louis XIV l'approuva. Quand d'Iberville se rendrait à Londres, il passerait à Dunkerque et recevrait de Le Blanc les renseignements indispensables pour obtenir de la Reine et de ses ministres «la conservation des écluses qu'ils étaient déjà convenus que l'on ne démolirait point ».
Les ingénieurs anglais sous la direction d'Armstrong avaient parcouru les environs de Dunkerque et prétendaient qu'en coupant «un petit isthme » entre le canal de Bourbourg et le canal de Gravelines, on assurerait l'écoulement de toutes les eaux par le canal de Gravelines. On pourrait alors détruire les écluses sans redouter aucun danger d'inondation, tandis que si une seule des écluses subsistait, le port de Dunkerque ne pourrait jamais être comblé, cette unique écluse produisant une chasse d'eau suffisante pour le déblayer. Le Blanc et l'ingénieur de Moyenneville réfutèrent ces assertions dans un copieux mémoire, offrant de se rendre sur les lieux avec les commissaires et de leur prouver que leur projet était irréalisable. Armstrong n'avait pas attendu cette invitation : niveau en mains, il arpentait le terrain espérant démontrer que l'on pouvait faire écouler les eaux par Gravelines et Nieuport. En même temps les commissaires réclamaient la destruction de la citerne du fort du grand Risban qui ne pouvait servir à rien, le fort étant rasé, que l'on transportât au loin les matériaux de démolition des ouvrages du front de mer, que l’on arrachât les fascines et grillages placés sous leurs fondations, enfin que l’on comblât totalement le port «travail immense, même absolument inutile » puisque les jetées détruites, le chenal se comblerait sous l'action des marées, ce qui empêcherait les vaisseaux de pénétrer dans le port. Le Directeur des fortifications, Le Pelletier, attira l'attention de d'Iberville «sur la fécondité d'esprit des commissaires anglais à imaginer tous les jours de nouvelles difficultés ». D'Iberville arriva à Dunkerque le 18 décembre 1713 et en repartit le 21 pour s'embarquer à Calais. Le Blanc le promena sur les travaux et lui remit plans et mémoires. «Il m'a donné de si bons éclaircissements sur tout, écrivait d’Iberville à de Torcy, que je suis en état de bien exécuter les ordres que j'ai et que je pourrai recevoir sur cela ».
Dès son arrivée à Londres, d’Iberville eut un long entretien avec Bolingbroke au sujet «des difficultés que les commissaires anglais ont faites ou qu'ils ont déjà laissé entendre qu'ils feront ». Il insinua que les commissaires agissaient ainsi parce que leur intérêt particulier était de faire durer le plus possible une mission qui leur valait de riches appointements, alors que l'intérêt des deux souverains était d'en finir au plus tôt. Bolingbroke en convint et lui promit de renvoyer à Dunkerque le général Hill «qui est un galant homme » pour résoudre ces difficultés.
La discussion sur les écluses continuait âprement à Dunkerque. Mémoires et réfutations s'échangeaient entre les commissaires, Le Blanc et de Moyenneville, pour parvenir, en France, à Voisin, à Le Pelletier et à l'ambassadeur anglais Prior, en Angleterre, au Secrétaire d'Etat Bromley et à d' Iberville.
Voulant, avant l'arrivée du général Hill, avoir en mains les preuves que les affirmations d'Armstrong étaient erronées, Le Blanc décida de se rendre lui-même sur le terrain accompagné des ingénieurs français et anglais et de notables habitants de Bergues et de Bourbourg «gens expérimentés au sujet des eaux du pays », Pendant deux jours, les 26 et 27 janvier 1714, on arpenta la région menacée par l'inondation, on prit des niveaux, on leva des plans. Armstrong fut obligé de reconnaître qu'une vaste zone de terrain avoisinant Bergues était à un niveau inférieur à celui de Bourbourg par où il prétendait faire écouler les eaux en direction de Gravelines. Mais il n'en maintint pas moins ses prétentions premières, se sachant fortement soutenu en Angleterre. Prior, en effet, remettait le 30 janvier à de Torcy une note destinée à Louis XIV déclarant que «les raisons irréfragables » alléguées par les commissaires prouvaient que les écluses servaient au nettoiement du port, par conséquent, à sa conservation, et que la Reine lui envoyait des ordres «précis et positifs » d'insister auprès du Roi pour que les écluses fussent détruites et l'article 9 pleinement et entièrement exécuté. De Torcy se plaignit à Bolingbroke de cette mise en demeure brutale ; il avait tout employé pour convaincre Prior : mémoires, cartes, plans, lui avaient été fournis. «Vous seul, Monsieur, écrivait-il à Bolingbroke, pouvez, par vos ordres, lui rendre la raison qu'il a perdue sur cet article et j'ose dire que vous le devez autant par pitié pour lui que pour l'honneur de la Reine et, sérieusement, la justice et la bonté de Sa Majesté britannique sont intéressées, non seulement à ne pas demander, mais même à ne pas souffrir cette destruction ».
D'Iberville continuait à Londres à agir sur Bolingbroke, mais il n'en obtenait que la promesse du prochain départ de Hill pour Dunkerque. Quel que put être le vif désir du ministère d'être agréable à Louis XIV en cette occurrence, ii lui fallait compter avec la violente opposition des whigs qui exigeaient la ruine absolue de Dunkerque. Pressentant qu'il ne pourrait obtenir la conservation des écluses, Bolingbroke écrivait le 2 février à d'Iberville que si le Roi «trouve bon de faire commencer sans perte de temps les ouvrages nécessaires pour conserver le pays après que les écluses seront démolies, comme c'est une affaire qui ne dépend en aucune façon du consentement de la Reine, elle n'y peut avoir aucune objection.
Au contraire, elle sera ravie de voir que la démolition des écluses et le comblement du port, sur lesquels elle insiste en vertu du traité de paix, n'entraînent pas la désolation du pays ». En écrivant cette lettre, Bolingbroke croyait peut-être faire preuve d'une grande habileté : il donnait satisfaction aux whigs en exigeant l'exécution intégrale de l'article 9 du traité et il était agréable à Louis XIV en lui permettant de conserver à l'abri de l'inondation un territoire important. Il n'avait pas prévu les conséquences que le Roi et l'Intendant Le Blanc allaient retirer de sa lettre et leur répercussion sur les rapports diplomatiques futurs entre les deux couronnes ; il ne pouvait prévoir non plus que sa lettre allait constituer un an plus tard la base d'une formidable accusation de trahison contre ses collègues et lui-même.
Une révolution étant toujours à redouter en Angleterre, «la prudence ne permet pas de se mettre en état de dépendre des événements lorsqu'on est libre, et que nul engagement n'oblige à s'y assujettir ».
En conséquence, le Roi désirait exécuter le plus promptement possible les clauses de l'article 9 du traité d'Utrecht et voir les Anglais repasser la mer.
Cette résistance de Louis XIV, ayant irrité les ministres anglais, ils avaient chargé Prior de faire savoir «que puisque le Roi voulait que le traité fut exécuté, la Reine devait y consentir, mais qu'elle demandait aussi que l'exécution fut exacte et que les clauses de l'article 9 fussent ponctuellement observées ». C'était en termes clairs avertir Louis XIV qu'il fallait abandonner tout espoir de conserver le port de Dunkerque et qu'on allait s'en tenir, pour la démolition, à la lettre même du traité.
Le Roi prévoyant que les commissaires chercheraient à soulever toutes les difficultés possibles, recommandait en conséquence à d’Iberville de faire «hâter la démolition totale des fortifications en sorte que les troupes anglaises sortent de cette place le plus tôt qu'il sera possible ».
Les difficultés allaient en effet commencer à Dunkerque. Le 14 novembre, inspectant avec Le Blanc les travaux, les commissaires lui déclarèrent que, d'après leurs ordres, l'enceinte de la place devait être rasée jusqu'à la fondation. Le Blanc ayant répondu qu'il convenait de conserver des portions des courtines qui, réunies par des murs, constitueraient la future clôture de la ville, les commissaires, se retranchant derrière les ordres reçus de la cour d'Angleterre, répliquèrent qu'ils ne souffriraient aucune clôture, fut-elle une palissade. Comme le faisait observer Le Blanc, même démantelée et son port comblé «Dunkerque serait une ville assez considérable pour mériter d'être fermée».
De Torcy remit à d’Iberville un long mémoire sur cette question, pour en entretenir les ministres anglais à son arrivée à Londres. Il faisait remarquer que rechercher sous terre les fondations et les démolir, allait entraîner le Roi à une dépense considérable, que, même si il y consentait pour être agréable à la Reine, ces travaux retarderaient considérablement la démolition, les fossés de la place se remplissant d'eau à chaque marée, de sorte qu'on ne pouvait exécuter le travail qu'à marée basse. Empêcher que Dunkerque après son démantèlement conservât une clôture, comme un simple bourg «ce serait pousser la précaution, pour ne pas dire la défiance, si loin qu'on ne peut pas s'imaginer que la Reine ait donné ces ordres à ses commissaires. On ne doute point qu'au contraire elle veuille bien leur en donner de précis de ne point s'opposer à la diligence avec laquelle le Roi veut faire exécuter le traité ».
Abandonnant pour un temps, la question de la clôture de la ville, les commissaires allaient soulever de grandes difficultés au sujet de la démolition des écluses qui fermaient les canaux aboutissant dans le port de Dunkerque. Ces canaux servaient non seulement à amener à Dunkerque les bélandres chargées des produits de la Flandre, mais ils drainaient les eaux des terres basses qui environnaient la ville. A marée basse, on ouvrait les écluses auxquelles aboutissaient les canaux et par ces puissantes chasses d'eau on déblayait le port et le chenal entre les deux jetées des vases et des sables que la marée montante y avait amenés.
Lorsque Bolingbroke quitta la France en août 1712, après avoir signé avec de Torcy les préliminaires de paix entre l'Angleterre et la France, il s'embarqua à Dunkerque, et Le Blanc profita de son passage pour lui démontrer que, si on détruisait les écluses des canaux, le pays serait en grande partie submergé par les eaux. Ayant visité la place et le port, Bolingbroke convint que les écluses «ne faisaient pas partie des fortifications et qu'il ne voyait pas d'inconvénient à les laisser subsister ».
Malgré cette promesse du premier ministre anglais, lors de la discussion des articles du traité de paix à Utrecht, Louis XIV fit adresser par de Torcy un mémoire à ses plénipotentiaires ainsi qu'à Prior, dans lequel il faisait observer qu'il était nécessaire de distinguer à Dunkerque entre deux sortes d'écluses : les unes servant à nettoyer le port, les autres à retenir les eaux pour empêcher l'inondation des terres. La destruction de ces dernières écluses, qui ne faisaient pas partie des fortifications, «ne servirait qu'à ruiner le pays sans produire aucun avantage à l'Angleterre ». L'article 9 du traité n'établit pourtant aucune distinction entre les écluses.
Aussi lorsqu'il apprit l'arrivée prochaine des commissaires anglais à Dunkerque, Le Blanc fit part à Voisin de ses craintes au sujet de la démolition des écluses. Très optimiste à l'époque, Voisin calma ses appréhensions, lui affirmant que toutes les fois qu'on avait entretenu les ministres anglais des écluses «ils n'avaient fait aucune difficulté de s'expliquer que la Reine d'Angleterre n'en demanderait pas la démolition ». Il était persuadé que les commissaires seraient instruits des intentions de la Reine à ce sujet (3). Voisin ignorait que les commissaires étaient en possession d'instructions secrètes rédigées par le Conseil des ministres de la Reine Anne le 31 juillet 1713, leur prescrivant de prendre un soin particulier pour que les écluses de Bergues et de la Moëre «soient tellement détruites et ruinées qu'il n'y reste pas une seule pierre ou pilotis », que des digues soient établies dans les canaux en aval et en amont des écluses et que l'espace entre ces digues soit empli de la terre prise au rempart le plus proche. Seule l'écluse du canal de Furnes pourrait subsister si elle était absolument indispensable pour empêcher l'inondation des terres.
Ce fut fin novembre 1713 que la question de la démolition des écluses commença à venir en discussion entre Le Blanc et les commissaires. Se prévalant de sa qualité d'ingénieur, Armstrong insista auprès de l'intendant pour que l'écluse de la Moëre fût détruite.
Le Blanc refusa tant qu'il n'aurait pas reçu les ordres du Roi : Louis XIV l'approuva. Quand d'Iberville se rendrait à Londres, il passerait à Dunkerque et recevrait de Le Blanc les renseignements indispensables pour obtenir de la Reine et de ses ministres «la conservation des écluses qu'ils étaient déjà convenus que l'on ne démolirait point ».
Les ingénieurs anglais sous la direction d'Armstrong avaient parcouru les environs de Dunkerque et prétendaient qu'en coupant «un petit isthme » entre le canal de Bourbourg et le canal de Gravelines, on assurerait l'écoulement de toutes les eaux par le canal de Gravelines. On pourrait alors détruire les écluses sans redouter aucun danger d'inondation, tandis que si une seule des écluses subsistait, le port de Dunkerque ne pourrait jamais être comblé, cette unique écluse produisant une chasse d'eau suffisante pour le déblayer. Le Blanc et l'ingénieur de Moyenneville réfutèrent ces assertions dans un copieux mémoire, offrant de se rendre sur les lieux avec les commissaires et de leur prouver que leur projet était irréalisable. Armstrong n'avait pas attendu cette invitation : niveau en mains, il arpentait le terrain espérant démontrer que l'on pouvait faire écouler les eaux par Gravelines et Nieuport. En même temps les commissaires réclamaient la destruction de la citerne du fort du grand Risban qui ne pouvait servir à rien, le fort étant rasé, que l'on transportât au loin les matériaux de démolition des ouvrages du front de mer, que l’on arrachât les fascines et grillages placés sous leurs fondations, enfin que l’on comblât totalement le port «travail immense, même absolument inutile » puisque les jetées détruites, le chenal se comblerait sous l'action des marées, ce qui empêcherait les vaisseaux de pénétrer dans le port. Le Directeur des fortifications, Le Pelletier, attira l'attention de d'Iberville «sur la fécondité d'esprit des commissaires anglais à imaginer tous les jours de nouvelles difficultés ». D'Iberville arriva à Dunkerque le 18 décembre 1713 et en repartit le 21 pour s'embarquer à Calais. Le Blanc le promena sur les travaux et lui remit plans et mémoires. «Il m'a donné de si bons éclaircissements sur tout, écrivait d’Iberville à de Torcy, que je suis en état de bien exécuter les ordres que j'ai et que je pourrai recevoir sur cela ».
Dès son arrivée à Londres, d’Iberville eut un long entretien avec Bolingbroke au sujet «des difficultés que les commissaires anglais ont faites ou qu'ils ont déjà laissé entendre qu'ils feront ». Il insinua que les commissaires agissaient ainsi parce que leur intérêt particulier était de faire durer le plus possible une mission qui leur valait de riches appointements, alors que l'intérêt des deux souverains était d'en finir au plus tôt. Bolingbroke en convint et lui promit de renvoyer à Dunkerque le général Hill «qui est un galant homme » pour résoudre ces difficultés.
La discussion sur les écluses continuait âprement à Dunkerque. Mémoires et réfutations s'échangeaient entre les commissaires, Le Blanc et de Moyenneville, pour parvenir, en France, à Voisin, à Le Pelletier et à l'ambassadeur anglais Prior, en Angleterre, au Secrétaire d'Etat Bromley et à d' Iberville.
Voulant, avant l'arrivée du général Hill, avoir en mains les preuves que les affirmations d'Armstrong étaient erronées, Le Blanc décida de se rendre lui-même sur le terrain accompagné des ingénieurs français et anglais et de notables habitants de Bergues et de Bourbourg «gens expérimentés au sujet des eaux du pays », Pendant deux jours, les 26 et 27 janvier 1714, on arpenta la région menacée par l'inondation, on prit des niveaux, on leva des plans. Armstrong fut obligé de reconnaître qu'une vaste zone de terrain avoisinant Bergues était à un niveau inférieur à celui de Bourbourg par où il prétendait faire écouler les eaux en direction de Gravelines. Mais il n'en maintint pas moins ses prétentions premières, se sachant fortement soutenu en Angleterre. Prior, en effet, remettait le 30 janvier à de Torcy une note destinée à Louis XIV déclarant que «les raisons irréfragables » alléguées par les commissaires prouvaient que les écluses servaient au nettoiement du port, par conséquent, à sa conservation, et que la Reine lui envoyait des ordres «précis et positifs » d'insister auprès du Roi pour que les écluses fussent détruites et l'article 9 pleinement et entièrement exécuté. De Torcy se plaignit à Bolingbroke de cette mise en demeure brutale ; il avait tout employé pour convaincre Prior : mémoires, cartes, plans, lui avaient été fournis. «Vous seul, Monsieur, écrivait-il à Bolingbroke, pouvez, par vos ordres, lui rendre la raison qu'il a perdue sur cet article et j'ose dire que vous le devez autant par pitié pour lui que pour l'honneur de la Reine et, sérieusement, la justice et la bonté de Sa Majesté britannique sont intéressées, non seulement à ne pas demander, mais même à ne pas souffrir cette destruction ».
D'Iberville continuait à Londres à agir sur Bolingbroke, mais il n'en obtenait que la promesse du prochain départ de Hill pour Dunkerque. Quel que put être le vif désir du ministère d'être agréable à Louis XIV en cette occurrence, ii lui fallait compter avec la violente opposition des whigs qui exigeaient la ruine absolue de Dunkerque. Pressentant qu'il ne pourrait obtenir la conservation des écluses, Bolingbroke écrivait le 2 février à d'Iberville que si le Roi «trouve bon de faire commencer sans perte de temps les ouvrages nécessaires pour conserver le pays après que les écluses seront démolies, comme c'est une affaire qui ne dépend en aucune façon du consentement de la Reine, elle n'y peut avoir aucune objection.
Au contraire, elle sera ravie de voir que la démolition des écluses et le comblement du port, sur lesquels elle insiste en vertu du traité de paix, n'entraînent pas la désolation du pays ». En écrivant cette lettre, Bolingbroke croyait peut-être faire preuve d'une grande habileté : il donnait satisfaction aux whigs en exigeant l'exécution intégrale de l'article 9 du traité et il était agréable à Louis XIV en lui permettant de conserver à l'abri de l'inondation un territoire important. Il n'avait pas prévu les conséquences que le Roi et l'Intendant Le Blanc allaient retirer de sa lettre et leur répercussion sur les rapports diplomatiques futurs entre les deux couronnes ; il ne pouvait prévoir non plus que sa lettre allait constituer un an plus tard la base d'une formidable accusation de trahison contre ses collègues et lui-même.
Depuis le mois de janvier, Le Blanc avait proposé au Roi de creuser un canal qui partirait du canal de Bergues près de Dunkerque et déboucherait dans la mer non loin de Mardyck. Cet ouvrage aurait offert le double avantage d'assurer l'écoulement des eaux si les écluses étaient détruites, et d'empêcher la ruine commerciale de Dunkerque et de l'arrière pays, qui devait en partie sa prospérité au port de Dunkerque. Le Blanc avait adressé au Roi deux mémoires à ce sujet accompagnés d'un devis des travaux. Accentuant la doctrine de Bolingbroke, Le Blanc prétendait que, pourvu que le port de Dunkerque soit comblé, le Roi était en droit d'établir un autre port sur ses terres, là où il le jugerait convenable.
Louis XIV avait désapprouvé le projet et interdit à son Intendant de rendre son dessein public, à son avis les Anglais et les Hollandais considéreraient la construction d'un port dans le voisinage immédiat de Dunkerque, comme une infraction au traité.
Le Blanc, s'étant rendu à Versailles vers le 15 février, eut une conférence avec Le Pelletier et de Torcy au sujet des écluses de Dunkerque et obtint une audience du Roi.
Il dut avoir connaissance sinon du texte, du moins de l'esprit de la lettre de Bolingbroke à de Torcy, car il paraît avoir converti le monarque à la nécessité de creuser un nouveau canal susceptible de recueillir les eaux et de les évacuer à la mer.
La question de la destruction des écluses restait en suspens en attendant l'arrivée du général Hill à Dunkerque. Il arriva enfin le 15 mars, et le 16 une conférence eut lieu en sa présence entre les Anglais et les Français ; on décida de proposer à la Reine de ne laisser subsister que l'écluse de Bergues par laquelle les eaux s'écouleraient à la mer en passant par les fossés de la citadelle et en se répandant sur le rivage. La Reine refusa de laisser subsister aucune écluse et désapprouva l'écoulement des eaux par Dunkerque ou par les fossés de la citadelle. Hill, très conciliant, prit sur lui d'autoriser la conservation de l'écluse de Bergues pendant le temps nécessaire pour creuser un nouveau canal d'écoulement. Ainsi les Anglais, contraints d'empêcher l'inondation d'une vaste zone de territoire, poussaient eux-mêmes à l'exécution du plan proposé par Le Blanc au Roi.
Mais Armstrong ne se montra pas aussi accommodant que Hill ; il déclara à Le Blanc qu'il s'opposait à la conservation des écluses de Bergues et qu'il partirait le soir même pour l'Angleterre afin d'obtenir des ordres plus précis. En réalité, Armstrong voulait exciter à Londres le parti whig contre le ministère en place et contre la France. L'opinion publique anglaise était alors très travaillée par les whigs ; le député Steel, considéré comme le meilleur écrivain du parti, s'était plaint à la tribune du Parlement du retard apporté à combler le port de Dunkerque. Bolingbrocke lui-même, encore qu'en excellents termes avec de Torcy, commençait à se lasser des mémoires, plans et cartes dont d’Iberville l'accablait sur cette fastidieuse question des écluses. Armstrong ne pouvait choisir un meilleur moment pour représenter la nécessité de détruire les écluses et de hâter le comblement du port. On commençait de plus à entrevoir en Angleterre que la création d'un nouveau canal allait, sous le prétexte d'assurer l'écoulement des eaux, permettre à la France d'éluder le traité et de conserver un port soit à Dunkerque, soit à Mardyck.
Averti par Le Blanc, dès le 29 mars, de l'arrivée d’Armstrong à Londres, d’Iberville ne put obtenir audience de Bolingbrocke que huit jours plus tard, le 5 avril. Armstrong avait eu le temps de persuader au ministre que la démolition de toutes les écluses était indispensable : ce fut la réponse que Bolingbrocke fit à d'Iberville.
Louis XIV estimait que les ministres anglais, redoutant l'opposition du parti whig au Parlement, n'osaient s'opposer aux représentations que faisait Armstrong qui mettait en avant l'intérêt de la nation anglaise et l'exécution du traité, et qu'ils auraient été très heureux que cette affaire fut terminée avant la rentrée du Parlement, le 6 avril. Armstrong, dont ils redoutaient la puissante et pernicieuse influence sur le parti whig, reçut en effet, l'ordre de retourner à Dunkerque et de quitter l'Angleterre avant cette date.
C'est sous l'empire de cette crainte de l'opposition qu'il redoutait de voir se manifester avec violence à la tribune du Parlement, que le ministère anglais donna l'ordre à l'ambassadeur Prior de remettre à de Torcy un mémoire exposant qu'en Angleterre on croyait que l'intention secrète du Roi était, en conservant l'écluse de Bergues, de construire un canal permettant l'entrée à Dunkerque de grands navires. De Torcy releva vivement cette allégation : «Je remets à un autre temps à me plaindre de votre facilité à soupçonner la France, quand vous avez tant de preuves de sa bonne foi » répondit-il à Prior.
Le Secrétaire d'Etat de Louis XIV oubliait en écrivant cette lettre que si le ministère Tory était animé d'intentions très bienveillantes à l'égard de la France, on prétendait même parmi les whigs que cette bienveillance était entretenue par les libéralités du Roi, ce ministère était avant tout un ministère anglais. La possibilité pour la France de reconstituer à Dunkerque ou aux environs un grand port sur la mer du Nord, était pour l'Angleterre la perte du grand avantage qu'elle avait retiré de la guerre, et quel que fut le ministère, tory ou whig, il devait s'y opposer de toute son énergie. La suite des événements allait en fournir la preuve.
Louis XIV ayant adopté le projet d'établir un nouveau canal, Le Blanc et de Moyenneville se mirent à l'œuvre avec ardeur. L'Intendant adressa au Contrôleur Général des finances Desmaretz des projets d'arrêts pour obtenir les fonds nécessaires, en levant des impôts extraordinaires dans sa généralité. Aidé des officiers de la marine royale de Dunkerque, il détermina le tracé du nouveau canal et en mit les travaux en adjudication; il réclama à Voisin dix bataillons pour les employer à ces travaux. Le 28 avril, le premier coup de pioche fut donné.
La démolition des fortifications était alors fort avancée : tous les ouvrages ainsi que les forts du front de mer étaient détruits et le terrain aplani. Seule, la citadelle, était encore intacte ; un bataillon anglais l'occupait. Les commissaires anglais, Armstrong en particulier, ne pouvaient voir avec plaisir l'activité déployée à Dunkerque. Au début de mai, Bolingbrocke demanda à d’Iberville que le Roi voulût bien fixer le terme précis où l'écluse de Bergues serait détruite et le port comblé. D'Iberville ne voyait dans cette demande que le besoin où se trouvaient les ministres «de faire taire les whigs qui s'accrochent à tout, ce qu'ils trouvent pour faire des reproches ». Les whigs en effet faisaient alors publier dans la Gazette de Hollande, que Louis XIV allait dépenser plusieurs millions pour construire un nouveau port à Mardyck. L'ambassadeur Prior écrivait à de Torcy qu'il avait reçu l'ordre «d'insister sans remise à l'exécution du traité » au sujet de la destruction de l'écluse de Bergues.
Louis XIV avait désapprouvé le projet et interdit à son Intendant de rendre son dessein public, à son avis les Anglais et les Hollandais considéreraient la construction d'un port dans le voisinage immédiat de Dunkerque, comme une infraction au traité.
Le Blanc, s'étant rendu à Versailles vers le 15 février, eut une conférence avec Le Pelletier et de Torcy au sujet des écluses de Dunkerque et obtint une audience du Roi.
Il dut avoir connaissance sinon du texte, du moins de l'esprit de la lettre de Bolingbroke à de Torcy, car il paraît avoir converti le monarque à la nécessité de creuser un nouveau canal susceptible de recueillir les eaux et de les évacuer à la mer.
La question de la destruction des écluses restait en suspens en attendant l'arrivée du général Hill à Dunkerque. Il arriva enfin le 15 mars, et le 16 une conférence eut lieu en sa présence entre les Anglais et les Français ; on décida de proposer à la Reine de ne laisser subsister que l'écluse de Bergues par laquelle les eaux s'écouleraient à la mer en passant par les fossés de la citadelle et en se répandant sur le rivage. La Reine refusa de laisser subsister aucune écluse et désapprouva l'écoulement des eaux par Dunkerque ou par les fossés de la citadelle. Hill, très conciliant, prit sur lui d'autoriser la conservation de l'écluse de Bergues pendant le temps nécessaire pour creuser un nouveau canal d'écoulement. Ainsi les Anglais, contraints d'empêcher l'inondation d'une vaste zone de territoire, poussaient eux-mêmes à l'exécution du plan proposé par Le Blanc au Roi.
Mais Armstrong ne se montra pas aussi accommodant que Hill ; il déclara à Le Blanc qu'il s'opposait à la conservation des écluses de Bergues et qu'il partirait le soir même pour l'Angleterre afin d'obtenir des ordres plus précis. En réalité, Armstrong voulait exciter à Londres le parti whig contre le ministère en place et contre la France. L'opinion publique anglaise était alors très travaillée par les whigs ; le député Steel, considéré comme le meilleur écrivain du parti, s'était plaint à la tribune du Parlement du retard apporté à combler le port de Dunkerque. Bolingbrocke lui-même, encore qu'en excellents termes avec de Torcy, commençait à se lasser des mémoires, plans et cartes dont d’Iberville l'accablait sur cette fastidieuse question des écluses. Armstrong ne pouvait choisir un meilleur moment pour représenter la nécessité de détruire les écluses et de hâter le comblement du port. On commençait de plus à entrevoir en Angleterre que la création d'un nouveau canal allait, sous le prétexte d'assurer l'écoulement des eaux, permettre à la France d'éluder le traité et de conserver un port soit à Dunkerque, soit à Mardyck.
Averti par Le Blanc, dès le 29 mars, de l'arrivée d’Armstrong à Londres, d’Iberville ne put obtenir audience de Bolingbrocke que huit jours plus tard, le 5 avril. Armstrong avait eu le temps de persuader au ministre que la démolition de toutes les écluses était indispensable : ce fut la réponse que Bolingbrocke fit à d'Iberville.
Louis XIV estimait que les ministres anglais, redoutant l'opposition du parti whig au Parlement, n'osaient s'opposer aux représentations que faisait Armstrong qui mettait en avant l'intérêt de la nation anglaise et l'exécution du traité, et qu'ils auraient été très heureux que cette affaire fut terminée avant la rentrée du Parlement, le 6 avril. Armstrong, dont ils redoutaient la puissante et pernicieuse influence sur le parti whig, reçut en effet, l'ordre de retourner à Dunkerque et de quitter l'Angleterre avant cette date.
C'est sous l'empire de cette crainte de l'opposition qu'il redoutait de voir se manifester avec violence à la tribune du Parlement, que le ministère anglais donna l'ordre à l'ambassadeur Prior de remettre à de Torcy un mémoire exposant qu'en Angleterre on croyait que l'intention secrète du Roi était, en conservant l'écluse de Bergues, de construire un canal permettant l'entrée à Dunkerque de grands navires. De Torcy releva vivement cette allégation : «Je remets à un autre temps à me plaindre de votre facilité à soupçonner la France, quand vous avez tant de preuves de sa bonne foi » répondit-il à Prior.
Le Secrétaire d'Etat de Louis XIV oubliait en écrivant cette lettre que si le ministère Tory était animé d'intentions très bienveillantes à l'égard de la France, on prétendait même parmi les whigs que cette bienveillance était entretenue par les libéralités du Roi, ce ministère était avant tout un ministère anglais. La possibilité pour la France de reconstituer à Dunkerque ou aux environs un grand port sur la mer du Nord, était pour l'Angleterre la perte du grand avantage qu'elle avait retiré de la guerre, et quel que fut le ministère, tory ou whig, il devait s'y opposer de toute son énergie. La suite des événements allait en fournir la preuve.
Louis XIV ayant adopté le projet d'établir un nouveau canal, Le Blanc et de Moyenneville se mirent à l'œuvre avec ardeur. L'Intendant adressa au Contrôleur Général des finances Desmaretz des projets d'arrêts pour obtenir les fonds nécessaires, en levant des impôts extraordinaires dans sa généralité. Aidé des officiers de la marine royale de Dunkerque, il détermina le tracé du nouveau canal et en mit les travaux en adjudication; il réclama à Voisin dix bataillons pour les employer à ces travaux. Le 28 avril, le premier coup de pioche fut donné.
La démolition des fortifications était alors fort avancée : tous les ouvrages ainsi que les forts du front de mer étaient détruits et le terrain aplani. Seule, la citadelle, était encore intacte ; un bataillon anglais l'occupait. Les commissaires anglais, Armstrong en particulier, ne pouvaient voir avec plaisir l'activité déployée à Dunkerque. Au début de mai, Bolingbrocke demanda à d’Iberville que le Roi voulût bien fixer le terme précis où l'écluse de Bergues serait détruite et le port comblé. D'Iberville ne voyait dans cette demande que le besoin où se trouvaient les ministres «de faire taire les whigs qui s'accrochent à tout, ce qu'ils trouvent pour faire des reproches ». Les whigs en effet faisaient alors publier dans la Gazette de Hollande, que Louis XIV allait dépenser plusieurs millions pour construire un nouveau port à Mardyck. L'ambassadeur Prior écrivait à de Torcy qu'il avait reçu l'ordre «d'insister sans remise à l'exécution du traité » au sujet de la destruction de l'écluse de Bergues.
Peu ému par cette nouvelle; offensive, Louis XIV se borna à répondre qu'avant de détruire l'écluse de Bergues, il était nécessaire d'assurer un écoulement aux eaux, et qu'il espérait que l'écluse pourrait être détruite à la fin du mois de juin. Un incident montre quel état de tension existait dans les rapports entre les commissaires anglais et les représentants du Roi à Dunkerque. Le batardeau construit pour obstruer le canal de Bourbourg ayant été rompu par la pression des eaux, les commissaires obtinrent du général Hill qu'il fit placer des chaînes et des cadenas aux écluses par des soldats anglais et mettre en prison l'éclusier de l'écluse de Bourbourg. Le Blanc était absent de Dunkerque ; à son retour, il protesta vivement contre le procédé des commissaires et en rendit compte à Versailles. Le Roi et de Torcy prirent fort mal la chose. «Vos commandants à Dunkerque, Monsieur, écrivit de Torcy à Prior, veulent la guerre et peut-être sans la patience et les bons ordres du Roi, il y aurait déjà des batailles données ».
Le Roi chargea d'Iberville de se plaindre à Bolingbrocke ; il estimait que Hill avait été poussé à prendre d'aussi funestes résolutions «par le sieur Armstrong dont le caractère n'est pas d'aplanir les difficultés ; il s'est exposé à des incidents très fâcheux que la sagesse de ceux qui sont chargés de mes ordres à Dunkerque a prévenus très heureusement, car il y a présentement vingt-deux bataillons de mes troupes dans cette place, les Anglais n'en ayant que quatre ». Cet incident ne fut sans doute pas étranger au départ de Hill, qui quitta Dunkerque le 10 juin pour n'y plus revenir.
Dans le courant du mois de juin et de juillet, les travaux avancèrent rapidement ; les écluses de Bergues et de Furnes furent détruites, ainsi que la grande écluse du bassin où séjournaient autrefois les vaisseaux de la marine royale. Le 6 août, Armstrong dirigea une équipe de deux mille travailleurs qui, dans l'intervalle de deux marées, construisirent un immense batardeau pour isoler le port de la mer. Ce serait mal connaître l’esprit tracassier et haineux d'Armstrong que de croire qu'il s'estima satisfait de ces importants résultats. Il intensifia au contraire sa politique de chicanes, exigeant continuellement de nouveaux travaux ; il demandait que toutes les terres provenant de la démolition des fortifications fussent jetées dans le port pour le combler, que les jetées fussent rasées au niveau du littoral, ainsi que ce qui subsistait encore du fort Blanc, etc.
Le Blanc et de Moyenneville continuaient à échanger avec les commissaires de nombreux mémoires relatifs à leurs exigences toujours renouvelées, mais ils n'en activaient pas moins les travaux du canal.
A cette époque, un événement que l'on redoutait depuis quelque temps à la cour de France, le décès de la Reine Anne, qui mourut le 12 août 1714, allait amener une orientation nouvelle de la politique anglaise. La mort de la Reine eut pourtant un résultat heureux : le retour en Angleterre des deux bataillons anglais qui tenaient garnison à Dunkerque ; ils s'embarquèrent le 20 août. Cleiton, l'un des commissaires, était retourné en Angleterre depuis quelques semaines ; il ne restait à Dunkerque, qu'Armstrong et Abercrombie. Le Blanc était d'avis que la démolition était assez avancée «pour qu'ils eussent pu se retirer ». Les événements allaient démontrer combien cette opinion était exacte.
La mort de la Reine Anne allait profondément modifier les rapports entre l'Angleterre et la France. Comme on vient de le voir, si le ministère tory avait exigé l'intégrale exécution de l'article du traité de paix relatif à Dunkerque, il avait agi sous la pression du parti whig. Mais encore, qu'Anglais d'abord, les ministres de la Reine Anne n'étaient pas des adversaires de la France.
En attendant l'arrivée à Londres de l'électeur de Hanovre, qui succédait à la Reine Anne, sous le nom de Georges Ier, l'Angleterre était gouvernée par des Régents, grands seigneurs appartenant à peu près exclusivement au parti des whigs. Armstrong se sentait donc plus soutenu encore qu'auparavant à Londres, et il en profita pour faire montre d'exigences nouvelles. Le 30 août, il fit remettre à Le Blanc un mémoire signé d'Abercrombie et de lui, réclamant la destruction de toutes les portions de fortifications encore existantes, ainsi que des portes de la ville et des voûtes par où les canaux de la Moêre et de Fumes entraient dans la place. Il exigeait même la destruction d'une portion de murailles, ancienne enceinte de Dunkerque, datant de trois siècles, et devenue le mur de clôture du jardin des Récollets ! Il demandait encore l'enlèvement des derniers vestiges des forts du front de mer et de ce qui subsistait des radiers des écluses.
Le Roi chargea d'Iberville de se plaindre à Bolingbrocke ; il estimait que Hill avait été poussé à prendre d'aussi funestes résolutions «par le sieur Armstrong dont le caractère n'est pas d'aplanir les difficultés ; il s'est exposé à des incidents très fâcheux que la sagesse de ceux qui sont chargés de mes ordres à Dunkerque a prévenus très heureusement, car il y a présentement vingt-deux bataillons de mes troupes dans cette place, les Anglais n'en ayant que quatre ». Cet incident ne fut sans doute pas étranger au départ de Hill, qui quitta Dunkerque le 10 juin pour n'y plus revenir.
Dans le courant du mois de juin et de juillet, les travaux avancèrent rapidement ; les écluses de Bergues et de Furnes furent détruites, ainsi que la grande écluse du bassin où séjournaient autrefois les vaisseaux de la marine royale. Le 6 août, Armstrong dirigea une équipe de deux mille travailleurs qui, dans l'intervalle de deux marées, construisirent un immense batardeau pour isoler le port de la mer. Ce serait mal connaître l’esprit tracassier et haineux d'Armstrong que de croire qu'il s'estima satisfait de ces importants résultats. Il intensifia au contraire sa politique de chicanes, exigeant continuellement de nouveaux travaux ; il demandait que toutes les terres provenant de la démolition des fortifications fussent jetées dans le port pour le combler, que les jetées fussent rasées au niveau du littoral, ainsi que ce qui subsistait encore du fort Blanc, etc.
Le Blanc et de Moyenneville continuaient à échanger avec les commissaires de nombreux mémoires relatifs à leurs exigences toujours renouvelées, mais ils n'en activaient pas moins les travaux du canal.
A cette époque, un événement que l'on redoutait depuis quelque temps à la cour de France, le décès de la Reine Anne, qui mourut le 12 août 1714, allait amener une orientation nouvelle de la politique anglaise. La mort de la Reine eut pourtant un résultat heureux : le retour en Angleterre des deux bataillons anglais qui tenaient garnison à Dunkerque ; ils s'embarquèrent le 20 août. Cleiton, l'un des commissaires, était retourné en Angleterre depuis quelques semaines ; il ne restait à Dunkerque, qu'Armstrong et Abercrombie. Le Blanc était d'avis que la démolition était assez avancée «pour qu'ils eussent pu se retirer ». Les événements allaient démontrer combien cette opinion était exacte.
La mort de la Reine Anne allait profondément modifier les rapports entre l'Angleterre et la France. Comme on vient de le voir, si le ministère tory avait exigé l'intégrale exécution de l'article du traité de paix relatif à Dunkerque, il avait agi sous la pression du parti whig. Mais encore, qu'Anglais d'abord, les ministres de la Reine Anne n'étaient pas des adversaires de la France.
En attendant l'arrivée à Londres de l'électeur de Hanovre, qui succédait à la Reine Anne, sous le nom de Georges Ier, l'Angleterre était gouvernée par des Régents, grands seigneurs appartenant à peu près exclusivement au parti des whigs. Armstrong se sentait donc plus soutenu encore qu'auparavant à Londres, et il en profita pour faire montre d'exigences nouvelles. Le 30 août, il fit remettre à Le Blanc un mémoire signé d'Abercrombie et de lui, réclamant la destruction de toutes les portions de fortifications encore existantes, ainsi que des portes de la ville et des voûtes par où les canaux de la Moêre et de Fumes entraient dans la place. Il exigeait même la destruction d'une portion de murailles, ancienne enceinte de Dunkerque, datant de trois siècles, et devenue le mur de clôture du jardin des Récollets ! Il demandait encore l'enlèvement des derniers vestiges des forts du front de mer et de ce qui subsistait des radiers des écluses.
Le Blanc et de Moyenneville convinrent que l'on pouvait faire disparaître les derniers éléments des forts et les débris des radiers des écluses, mais ils déclarèrent que les autres ouvrages étaient suffisamment détruits ; quant a l'antique muraille, il ne pouvait être question de la démolir, car dans ces conditions «une clôture de jardin paraît également fortification ». La réponse peu courtoise des commissaires déclarant qu'ils ne demandaient rien «par complaisance, ni par condescendance, que l'exécution du neuvième article, comme leurs ordres le porte » fut envoyée par Le Blanc à de Torcy, qui chargea Le Pelletier d'y répondre. Il le fit d'une manière assez acerbe, affirmant qu'il n'avait pas dépendu du Roi que la démolition de Dunkerque n'eut commencée six mois plus tôt, et que jamais démolition de place n'avait été exécutée avec plus de bonne foi. L'arrogance naturelle d'Armstrong, «esprit outré, pénétré d'aversion contre la France, s'imaginant que son caractère de commissaire pour la démolition lui procurera un nom considérable, et lui fera renouveler la ligue et recommencer la guerre », ainsi que Le Blanc l'écrivait à Le Pelletier, cette arrogance était exaltée par les instructions qu'il recevait d'Angleterre. En attendant l'arrivée du Roi d'Angleterre, les ministres de la Reine Anne étaient encore en place, mais la nouvelle orientation de la politique anglaise les obligeait à modifier leur manière d'agir vis à vis de la France. C'est ainsi que le 20 août, le secrétaire d'État Bromley, informa Armstrong que Prior avait reçu l'ordre de cesser ou de réitérer les réclamations à la Cour de France suivant les renseignements qu'il lui enverrait directement de Dunkerque.
Désirant, lorsque le roi Georges Ier arriverait à Londres, lui faire un rapport exact de la situation à Dunkerque, les Régents décidèrent d'envoyer cinq nouveaux commissaires. Les commissaires débarquèrent à Dunkerque le 11 septembre. Le 13, l'équipage d'une chaloupe du navire qui les avait amenés, étant surpris à relever les fonds de la rade et des bancs qui la protégeaient, fut emprisonné par ordre de Le Blanc, que le Roi approuva. Armstrong se plaignit vivement à Prior et réclama la liberté de ses concitoyens, la restitution de la chaloupe et des instruments saisis à son bord. Puis, sans attendre la décision de Louis XIV qui, une fois de plus, voulut éviter tout conflit et fit relâcher les marins anglais, Armstrong s'embarqua pour l'Angleterre avec les cinq nouveaux commissaires afin de se plaindre au Roi Georges Ier, qui venait d'arriver à Londres. Il ne cessa «de clabauder » sur le port que Louis XIV faisait construire à Mardyck, en en vantant l'importance et prétendant que l'Angleterre était perdue si elle en tolérait l'achèvement. Ainsi excités par Armstrong, les whigs semblent, vers la fin du mois de septembre, avoir eu l'intention de recommencer les hostilités contre la France, à propos du canal de Mardyck. L'ambassadeur de Pologne, à Londres, avait confié à d’Iberville «la démangeaison qu'ont les whigs de renouveler la guerre ». Le parti whig voulait s'allier à l'empereur Charles VI, et déclarer la guerre aux rois d'Espagne et de Sicile, pour obliger Louis XIV à prendre part aux hostilités. Une nouvelle guerre aurait permis au roi Georges Ier de faire solder par l'Angleterre les troupes qu'il entretenait en tant qu'électeur de Hanovre, et les whigs espéraient, à la faveur d'une guerre heureuse, abattre complètement le parti tory. Excités par les discours d’Armstrong, ils avaient pris à la même époque, Abercrombie, le dernier commissaire anglais resté, à Dunkerque, dans une entrevue secrète qu'il eut avec Le Blanc, lui confia qu'ayant obtenu une audience du roi Georges Ier à son passage à la Haye, lorsqu'il se rendait à Londres, celui-ci lui avait déclaré qu'il regardait la continuation des travaux du canal comme une infraction au traité d'Utrecht qu'il ne pouvait permettre.
A Londres, les esprits étaient si montés contre la France, que le jour de l’entrée solennelle du nouveau Roi, des jeunes gens et des ivrognes insultèrent l'ambassade de France, qu'il fallut faire protéger par la troupe. Le ministère anglais paraît à cette époque avoir décidé une rupture avec la France. Le 11 octobre, le ministre anglais Stanhope déclarait à d'Iberville, qu'il était chargé par le Roi d'Angleterre, de faire savoir à Louis XIV que le Roi et la nation anglaise regardaient la construction du canal de Mardyck comme une infraction à la paix, et que la continuation de cet ouvrage mettrait le Roi d'Angleterre dans la nécessité de faire de nouvelles ligues et d'assembler cent mille hommes afin de le détruire. «Cela fut dit, écrit d'Iberville à Louis XIV, d'un ton fort décisif, et M. Stanhope, après l'avoir répété quatre ou cinq fois, a ajouté que je répondrais des malheurs que causerait une nouvelle guerre, si je ne représentais à Votre Majesté ce qu'il me disait aussi fortement qu'il le faut, pour vous convaincre, de la nécessité de lever cette pierre de scandale pour éviter une rupture ».
C'était un ultimatum brutal. En même temps, Stanhope, pour accentuer sa pression, adressait une note impérative à Prior lui enjoignant de «faire les plus fortes instances pour obtenir l'arrêt des travaux ».
Louis XIV ne fut nullement troublé par les rodomontades de Stanhope. Il savait qu'en Angleterre, on était loin d'être unanime à désirer la guerre ; beaucoup de bons esprits estimaient que le canal ne valait pas qu'on entreprit pour le détruire une nouvelle guerre dont l'Angleterre ferait tous les frais, qui achèverait de la ruiner et qui pourrait même causer une guerre civile. Seuls, Malborough et ses créatures désiraient la guerre. S'ils parvenaient à devenir les maîtres du Parlement, à amener l'Empereur, les Hollandais et le roi de Portugal à adhérer à leurs projets, il était a craindre qu'ils ne déclarassent la guerre à la France. Mais un pareil accord semblait fort difficile à réaliser. Aussi, Louis XIV se borna à répondre qu'il avait été contraint de creuser un simple canal pour l'écoulement des eaux par suite de l'exigence des Anglais de détruire toutes les écluses, et qu'il aurait souhaité s'épargner cette dépense, mais qu'il ne suspendrait pas les travaux, n'ayant jamais eu l'intention de créer un nouveau port ou une place fortifiée, ce que les commissaires anglais savaient fort bien. «Si je me relâchais en cette occurence, écrivait-il â d’Iberville, le nouveau gouvernement d'Angleterre attribuerait mon désistement à faiblesse et chercherait des sujets de rupture, dans le refus des demandes que je ne pourrais accorder.
Il est plus convenable d'arrêter, dès le commencement, le cours de ces demandes qui ne finiraient pas et de faire voir, toutefois sans menaces, que si l'on cherche en Angleterre des prétextes pour renouveler la guerre, je saurais trouver les moyens de la soutenir ».
L'opinion publique française ne redoutait pas non plus la guerre, s'il faut en croire une lettre que Le Blanc, tenu au courant par d' Iberville de l'arrogante communication de Stanhope, lui écrivait le même jour, 17 octobre. « La proposition du renouvellement d'une ligue pour rassembler cent mille hommes afin de détruire notre ouvrage pourra, à ce que j'espère, trouver quelque difficulté dans son exécution. A toute extrémité, je me flatterais qu'avec un moindre nombre de troupes, on pourrait s'opposer à une pareille entreprise. La figure et l'habillement des troupes anglaises en imposent au premier aspect ; mais dans l'exécution, les troupes du Roi, moins parées, n'éviteraient pas les Anglais et dérangeraient peut-être le projet de leur voyage. Je sens bien, Monsieur, qu'il ne s'agit pas de se faire des défis, mais je crois aussi que les airs supérieurs des Anglais ne doivent pas nous en imposer ».
La réponse digne et mesurée autant qu'énergique de Louis XIV, fut communiquée par d'Iberville à Stanhope, le 24 octobre. Celui-ci, affectant l'ironie, plaignit d'Iberville d'être chargé «de soutenir une cause insoutenable», mais ceci était dit sur un ton beaucoup plus conciliant que celui employé lors de la précédente entrevue. D’Iberville aurait été pleinement rassuré, s'il n'avait redouté qu'il n'y eut de la part de Stanhope «une dissimulation pré¬ méditée ».
Louis XIV continua néanmoins à envoyer à son chargé d'affaires des instructions extrêmement conciliantes, sans accepter pourtant de faire interrompre les travaux du canal. Il se retranchait derrière son très sincère désir d'exécuter intégralement le traité de paix. «Vous connaissez la nation anglaise, écrivait-il à d'Iberville; ainsi vous savez qu'il est aisé de lui persuader que cette sincérité est une marque de faiblesse et de crainte que la guerre ne se renouvelle. Ceux qui la désirent profitent de la facilité qu'ils ont d'abuser le peuple ».
Il semblait bien que la cour d'Angleterre cherchât un éclat pour pouvoir entamer les hostilités contre la France. Le 9 novembre, le roi Georges Ier, apercevant à sa cour le comte Corneille de Nassau qui arrivait de Flandre, lui demanda publiquement ce qu'il pensait du nouveau canal de Mardyck. Le comte répondit que c'était un ouvrage magnifique, qu'on y travaillait avec une diligence incroyable et qu'il pourrait contenir de nombreux vaisseaux de guerre. Le Roi lui ayant demandé s'il y avait de nombreuses troupes françaises en Flandre et à Dunkerque, le comte de Nassau assura qu'il en arrivait constamment de nouvelles et qu'on avait même suspendu la réforme. D'Iberville était placé exactement derrière le roi pendant cette conversation. Georges Ier s'étant retourné, il prit spontanément la parole, déclarant que les troupes envoyées en Flandre étaient destinées à compléter les garnisons, et que si la réforme était suspendue, ce qu'il ignorait, la cause en était aux bruits de guerre qui se répandaient, ajoutant que si le Roi ne la désirait pas, la déclaration que Stanhope lui avait faite par son ordre au sujet du canal, pouvait donner lieu de croire qu'un parti à la Cour d'Angleterre «pour des vues particulières » conseillerait de rompre avec la France.
D'Iberville profita de l'occasion pour exposer longuement au Roi les raisons qui avaient obligé Louis XIV à créer un nouveau canal. Georges Ier lui répondit en homme fort au courant de la question et en s'appuyant sur les arguments favoris d'Armstrong. La discussion tourna court sur une remarque du comte de Nassau.
Cette discussion, si contraire aux usages diplomatiques, produisit une profonde impression sur tous les courtisans ; pour d’Iberville «elle était la preuve que le Roi ne voit que par les yeux des whigs mal intentionnés qui l'entourent ». Louis XIV, en apprenant cet incident, manifesta une surprise dédaigneuse que le roi d'Angleterre fut entré dans une discussion qu'il aurait du laisser à ses ministres «plutôt que de traiter lui-même cette matière en présence de toute sa cour ». Il affirma, à nouveau son intention de terminer le canal, déclarant que toutes les représentations qu'on pourrait lui faire à ce sujet seraient inutiles.
A cette époque, la menace d'une nouvelle coalition contre la France à l'instigation de l'Angleterre se précisait : Stanhope était à Vienne pour offrir à l'Empereur une alliance offensive contre la France. En Angleterre, de nombreuses publications excitaient l'opinion contre Louis XIV ; dans une de ces brochures, l'auteur affirmait que la création du canal de Mardyck était un motif suffisant pour obliger l'Angleterre à recommencer la guerre. Mais Stanhope ayant complètement échoué dans sa mission, l'orage s'apaisa temporairement. Lors d'un diner chez Marlborough auquel était convié d’Iberville, le général et le ministre affirmèrent au diplomate français «qu'ils n'étaient plus gens de guerre et ne voulaient plus en entendre parler, si le roi de France voulait bien les laisser en repos». A Versailles, Prior lui-même, ne parlait plus du canal de Mardyck. Mais ce n'était qu'une accalmie. Armstrong, resté à Londres, «piqué au vif que les Anglais raisonnables lui imputent la faute d'avoir forcé le Roi à ouvrir un canal pour suppléer aux écluses dont il n'a pas voulu laisser subsister une seule », continuait à affirmer que dans deux ans, Dunkerque aurait retrouvé son ancienne prospérité. D'autre part, les whigs au pouvoir avaient décidé le rappel de Prior et son remplacement comme ambassadeur par le comte de Stair, un des plus ardents champions du parti et animé d'une haine violente contre la France. Le nouvel ambassadeur arriva à Versailles au moment précis où, après une messe solennelle, Le Blanc avait fait ouvrir l'écluse du nouveau canal et où les eaux s'étaient pour la première fois, écoulées à la mer.
Le 5 février, lord Stair remit à de Torcy un mémoire destiné au Roi dans lequel, prétendant que Louis XIV n'avait jamais connu les faits sous leur véritable jour, il renouvelait les doléances des commissaires. Il terminait en déclarant que le roi d'Angleterre considérait le nouveau canal comme une entreprise contraire au traité d'Utrecht.
De Torcy se contenta de faire passer le mémoire à Le Pelletier, pour établir un projet de réponse en reprenant les raisons «déjà plusieurs fois débattues ». Impatient, lord Stair écrivit le 15 février à de Torcy qu'il s'agissait d'une affaire très sérieuse par suite de l'inquiétude où se trouvait le roi d'Angleterre relativement aux intentions de Louis XIV.
Il accusait le Roi de construire un port «qui menace ruine au commerce de ses voisins et une invasion de la Grande Bretagne. On croira que la France est bien puissante, si vous voulez, et qu'elle le peut devenir encore davantage ; mais au bout du compte est-il utile de renouveler de telles jalousies?» Il terminait par une menace non déguisée : «Songez y mûrement, Monsieur, avant que de donner des conseils violents au roi ».
Pour ne pas envenimer la querelle, de Torcy pria Le Pelletier d'activer la réponse au mémoire de lord Stair et il en donna lecture au Conseil du Roi le dimanche 17 février. Il ne remit pas immédiatement cette réponse à l'ambassadeur d'Angleterre, préférant avoir au préalable une entrevue avec lui. Cette entrevue eut lieu le 21 février.
Lord Stair débuta brutalement en réclamant la réponse à son mémoire. De Torcy lui répondit qu'il avait lu son mémoire, mais, qu'avant d'y répondre, il désirait savoir si l'ambassadeur demandait des éclaircissements propres à maintenir la paix, ou s'il ne cherchait que des prétextes de querelle. Dans ce dernier cas, il était inutile de perdre du temps en lui exposant les véritables intentions du Roi. Lord Stair, décontenancé, affirma que le Roi d'Angleterre désirait le maintien de la paix. On entama alors la discussion sur le comblement du port.
Lord Stair fut obligé de reconnaître que la communication avec la mer était supprimée. Au sujet du canal, de Torcy réitéra l'affirmation que Louis XIV avait été contraint de construire un nouveau canal par suite de l'intransigeance des Anglais, qui avaient fait détruire toutes les écluses. L'ambassadeur demanda si son maître n'aurait aucune satisfaction à ses justes demandes concernant le canal «article essentiel à la conservation de la paix ». De Torcy répliqua que le Roi ne lui avait pas encore commandé de répondre à son mémoire. Le sang à la figure, et haussant le ton, l'ambassadeur s'écria «qu'il savait bien qu'en France on comptait beaucoup sur les divisions domestiques de l'Angleterre, mais qu'on verrait son maître aussi absolu dans l'intérieur de son royaume qu'il était puissant et respecté au dehors». Puis, sortant de sa poche deux feuillets détachés de l’almanach royal pour l'an 1715, il prétendit qu'en France on rabaissait son maître, puisque l’almanach ne le portait qu'au rang d'Electeur de Hanovre et non de Roi d'Angleterre. Le prenant de très haut, de Torcy répondit que le Roi d'Angleterre, si délicat sur ce qui touchait l'honneur des souverains, n'avait pourtant fait aucune remarque sur le sermon prêché récemment par l'évêque de Salisbury, dans lequel «les invectives prononcées en chaire contre les maximes et contre le gouvernement d'un prince voisin de l'Angleterre, étaient si fortes et si mal déguisées, que le Roi aurait eu plus de sujet d'en être offensé que le Roi d'Angleterre, d'un almanach qui n'était ni revu ni corrigé par les ministres de Sa Majesté ».
Lord Stair se borna à répondre que jamais un pareil sermon n'avait été prononcé et prit congé du ministre.
La violence et l'emportement de l'ambassadeur anglais avaient été vaincus par le calme et l'habileté du grand diplomate qui, sous la direction de Louis XIV, régentait toute la diplomatie européenne.
Comme le faisait observer de Torcy, «si l'on avait voulu se fâcher, il pouvait y donner lieu, mais ce n'est pas l'intention de Sa Majesté ». Louis XIV consentit même à donner une réponse écrite au mémoire de lord Stair, quoique cela ne fut l'usage et put amener «de nouvelles contradictions et de nouvelles disputes ».
La modération de Louis XIV, ainsi que le ton un peu dédaigneux et condescendant qu'il employa dans sa réponse au mémoire de lord Stair, peut-être également la crainte de complications intérieures en Grande-Bretagne, amenèrent une détente marquée dans les rapports entre les deux couronnes. Dans les entrevues suivantes qu'il eut avec de Torcy, lord Stair ne s'emporta plus pour des futilités comme celle de l'almanach royal ; il affirma que si Louis XIV voulait bien faire achever le canal de manière qu'il ne put être utilisé que par des vaisseaux marchands, d'un tonnage dont on conviendrait, à l'exclusion des navires de guerre, le Roi d'Angleterre ne demanderait plus la destruction du canal «même n'exigera pas que ce nouveau canal ne puisse être un port ». Le 13 mars, l'ambassadeur obtint une audience du Roi, et réclama une réponse plus précise à son mémoire. Louis XIV, justement blessé de la manière dont les demandes lui avaient été faites, refusa d'entrer dans aucun accommodement propre à dissiper les prétendues craintes des Anglais, malgré les avis conciliants de Torcy. Il craignait que s'il cédait aux instances de lord Stair, les whigs ne fissent croire en Angleterre, que la crainte d'une nouvelle guerre l'empêchait de persister à affirmer qu'il restait libre de faire exécuter sur ses terres les travaux non interdits par le traité d'Utrecht.
D'autre part, les whigs attaquaient violemment les ministres tories de la Reine Anne, qu'ils accusaient d'avoir été achetés par Louis XIV et, par suite, de n'avoir pas introduit dans le traité, l'interdiction de créer un nouveau port dans le voisinage de Dunkerque. C'était là encore un motif pour Louis XIV, de ne pas céder aux whigs qui «se seraient fait honneur de réparer par leur fermeté le préjudice que la négligence, comme ils ne manqueraient pas de le dire, la trahison du gouvernement précédent, aurait causé à la nation anglaise ». Reconnaissant que dans un pays de libre discussion comme l'Angleterre, l'opinion publique devrait être éclairée, Louis XIV demandait à d’Iberville de faire publier à Londres le mémoire de lord Stair et sa réponse à ce mémoire. Afin d'éviter qu'on put le soupçonner • d'être l'instigateur de cette publication, d'Iberville envoya mémoire et réponse à l'ambassadeur de France en Hollande, pour les faire insérer dans la Gazette d'Amsterdam, certain que dès qu'un exemplaire de la Gazette arriverait à Londres, il serait traduit et imprimé dans les trois jours.
Lord Stair remit le 26 mars un nouveau mémoire demandant de la part du Roi Georges Ier, si Louis XIV n'avait pas quelque expédient à proposer «pour empêcher que le nouveau canal ne devienne port ». N'ayant pas reçu de réponse quarante-huit heures après, Lord Stair s'en plaignit à de Torcy. Mais le Roi était persuadé que cette insistance de lord Stair avait uniquement pour but d'obtenir, par des concessions de la France, une base solide pour établir les accusations contre les ministres de la Reine Anne. L'ambassadeur d'Espagne à Londres, le marquis de Monteleon, informa d' Iberville que le 29 mars, Stanhope lui avait confié qu'on avait dit à Versailles que le Roi aurait pu proposer une solution pour l'affaire du canal de Mardyck «si l'on eut voulu se désister de l'accusation des ministres de la Reine » et que des personnages «du premier rang » à la cour de Versailles, prétendaient que si le Roi restait sourd aux demandes de lord Stair, c'était pour ne pas accabler les anciens ministres qui avaient manqué de prévoyance.
Cette allusion à certains grands personnages de la cour de Versailles qui, vis à vis de l'Angleterre, pratiquaient une politique plus conciliante que celle de Louis XIV, visait le duc d'Orléans, le futur Régent et ses partisans, que nous verrons devenir plus tard les alliés des whigs.
Pour prouver une fois de plus son ardent désir de conciliation, Louis XIV fit mettre sous les yeux de lord Stair le plan du canal entre l'écluse et la mer, affirmant qu'il ne ferait pas continuer l'approfondissement du chenal ; il interdit même de tenir les écluses fermées pour éviter que des chasses d'eau à marée basse ne vinssent dégager le chenal des sables qui l'encombraient. Stair déclara que cette affirmation ne pouvait constituer la «sûreté réelle que le Roi d'Angleterre et la nation demandaient pour l'avenir ». Mais qu'on pourrait terminer le différent si le Roi consentait qu'il fut nommé de part et d'autre des ingénieurs qui détermineraient le point où les jetées partant de l'écluse vers la mer, devraient cesser pour ne pas rendre le canal accessible aux vaisseaux de guerre et aux grands vaisseaux marchands.
C'était remettre l'affaire entre les mains des experts. A une époque toute récente, nous avons connu de fréquentes tractations diplomatiques où ce système, déjà cher aux diplomates anglais du XVIIIe siècle, fut remis en honneur par leur successeurs.
Mais Louis XIV n'accepta pas de s'en remettre à des experts «parce que leurs constatations réciproques formeraient de nouvelles difficultés au lieu d'aplanir les anciennes » et après avoir fait étudier par Le Pelletier la proposition de lord Stair, il décida, conformément aux conclusions de son Directeur des fortifications, de refuser de commettre à des ingénieurs anglais «la décision de l'affaire ».
Ce refus de Louis XIV gênait les ministres du roi d'Angleterre dans les poursuites qu'ils avaient engagées contre le précédent ministère. Stanhope remit au Parlement «les mémoires, papiers et procédures » concernant la démolition de Dunkerque, et le Parlement décida de les adresser au Comité secret, chargé d'examiner la conduite des ministres de la Reine Anne. L'opinion publique anglaise semble avoir été très partagée à ce moment; les uns étaient d'avis de déclarer la guerre à la France, les autres, au contraire, affirmaient que les lourds impôts nécessaires pour solder les frais de la précédente guerre, ne permettraient pas au Parlement, d'en entreprendre une nouvelle.
Lord Stair réclama, suivant son habitude, une prompte réponse à sa proposition. Louis XIV lui fit répondre verbalement par de Torcy, qu'il la déclinait; l'ambassadeur insista pour obtenir une réponse écrite qui lui fut refusée, d’Iberville ayant reçu des instructions à ce sujet. Lord Stair prétendit que charger d'Iberville de répondre directement à Londres aux ministres anglais sur une proposition faite par lui à Versailles, constituait une offense, et il réclama à nouveau une réponse écrite ajoutant que, puisque le Roi remettait en d'autres mains la négociation, il ne s'occuperait plus du canal de Mardyck. A juste raison, de Torcy considéra cette feinte «comme finesse de nouveau négociateur et ayant, dans une entrevue avec lord Stair, observé le silence sur la question du canal, l'ambassadeur anglais remit la question sur le tapis, affirmant que si le Roi voulait bien donner l'ordre de ne pas prolonger les jetées jusqu'au niveau de la basse mer, ce serait un moyen de finir la contestation.
Désirant, lorsque le roi Georges Ier arriverait à Londres, lui faire un rapport exact de la situation à Dunkerque, les Régents décidèrent d'envoyer cinq nouveaux commissaires. Les commissaires débarquèrent à Dunkerque le 11 septembre. Le 13, l'équipage d'une chaloupe du navire qui les avait amenés, étant surpris à relever les fonds de la rade et des bancs qui la protégeaient, fut emprisonné par ordre de Le Blanc, que le Roi approuva. Armstrong se plaignit vivement à Prior et réclama la liberté de ses concitoyens, la restitution de la chaloupe et des instruments saisis à son bord. Puis, sans attendre la décision de Louis XIV qui, une fois de plus, voulut éviter tout conflit et fit relâcher les marins anglais, Armstrong s'embarqua pour l'Angleterre avec les cinq nouveaux commissaires afin de se plaindre au Roi Georges Ier, qui venait d'arriver à Londres. Il ne cessa «de clabauder » sur le port que Louis XIV faisait construire à Mardyck, en en vantant l'importance et prétendant que l'Angleterre était perdue si elle en tolérait l'achèvement. Ainsi excités par Armstrong, les whigs semblent, vers la fin du mois de septembre, avoir eu l'intention de recommencer les hostilités contre la France, à propos du canal de Mardyck. L'ambassadeur de Pologne, à Londres, avait confié à d’Iberville «la démangeaison qu'ont les whigs de renouveler la guerre ». Le parti whig voulait s'allier à l'empereur Charles VI, et déclarer la guerre aux rois d'Espagne et de Sicile, pour obliger Louis XIV à prendre part aux hostilités. Une nouvelle guerre aurait permis au roi Georges Ier de faire solder par l'Angleterre les troupes qu'il entretenait en tant qu'électeur de Hanovre, et les whigs espéraient, à la faveur d'une guerre heureuse, abattre complètement le parti tory. Excités par les discours d’Armstrong, ils avaient pris à la même époque, Abercrombie, le dernier commissaire anglais resté, à Dunkerque, dans une entrevue secrète qu'il eut avec Le Blanc, lui confia qu'ayant obtenu une audience du roi Georges Ier à son passage à la Haye, lorsqu'il se rendait à Londres, celui-ci lui avait déclaré qu'il regardait la continuation des travaux du canal comme une infraction au traité d'Utrecht qu'il ne pouvait permettre.
A Londres, les esprits étaient si montés contre la France, que le jour de l’entrée solennelle du nouveau Roi, des jeunes gens et des ivrognes insultèrent l'ambassade de France, qu'il fallut faire protéger par la troupe. Le ministère anglais paraît à cette époque avoir décidé une rupture avec la France. Le 11 octobre, le ministre anglais Stanhope déclarait à d'Iberville, qu'il était chargé par le Roi d'Angleterre, de faire savoir à Louis XIV que le Roi et la nation anglaise regardaient la construction du canal de Mardyck comme une infraction à la paix, et que la continuation de cet ouvrage mettrait le Roi d'Angleterre dans la nécessité de faire de nouvelles ligues et d'assembler cent mille hommes afin de le détruire. «Cela fut dit, écrit d'Iberville à Louis XIV, d'un ton fort décisif, et M. Stanhope, après l'avoir répété quatre ou cinq fois, a ajouté que je répondrais des malheurs que causerait une nouvelle guerre, si je ne représentais à Votre Majesté ce qu'il me disait aussi fortement qu'il le faut, pour vous convaincre, de la nécessité de lever cette pierre de scandale pour éviter une rupture ».
C'était un ultimatum brutal. En même temps, Stanhope, pour accentuer sa pression, adressait une note impérative à Prior lui enjoignant de «faire les plus fortes instances pour obtenir l'arrêt des travaux ».
Louis XIV ne fut nullement troublé par les rodomontades de Stanhope. Il savait qu'en Angleterre, on était loin d'être unanime à désirer la guerre ; beaucoup de bons esprits estimaient que le canal ne valait pas qu'on entreprit pour le détruire une nouvelle guerre dont l'Angleterre ferait tous les frais, qui achèverait de la ruiner et qui pourrait même causer une guerre civile. Seuls, Malborough et ses créatures désiraient la guerre. S'ils parvenaient à devenir les maîtres du Parlement, à amener l'Empereur, les Hollandais et le roi de Portugal à adhérer à leurs projets, il était a craindre qu'ils ne déclarassent la guerre à la France. Mais un pareil accord semblait fort difficile à réaliser. Aussi, Louis XIV se borna à répondre qu'il avait été contraint de creuser un simple canal pour l'écoulement des eaux par suite de l'exigence des Anglais de détruire toutes les écluses, et qu'il aurait souhaité s'épargner cette dépense, mais qu'il ne suspendrait pas les travaux, n'ayant jamais eu l'intention de créer un nouveau port ou une place fortifiée, ce que les commissaires anglais savaient fort bien. «Si je me relâchais en cette occurence, écrivait-il â d’Iberville, le nouveau gouvernement d'Angleterre attribuerait mon désistement à faiblesse et chercherait des sujets de rupture, dans le refus des demandes que je ne pourrais accorder.
Il est plus convenable d'arrêter, dès le commencement, le cours de ces demandes qui ne finiraient pas et de faire voir, toutefois sans menaces, que si l'on cherche en Angleterre des prétextes pour renouveler la guerre, je saurais trouver les moyens de la soutenir ».
L'opinion publique française ne redoutait pas non plus la guerre, s'il faut en croire une lettre que Le Blanc, tenu au courant par d' Iberville de l'arrogante communication de Stanhope, lui écrivait le même jour, 17 octobre. « La proposition du renouvellement d'une ligue pour rassembler cent mille hommes afin de détruire notre ouvrage pourra, à ce que j'espère, trouver quelque difficulté dans son exécution. A toute extrémité, je me flatterais qu'avec un moindre nombre de troupes, on pourrait s'opposer à une pareille entreprise. La figure et l'habillement des troupes anglaises en imposent au premier aspect ; mais dans l'exécution, les troupes du Roi, moins parées, n'éviteraient pas les Anglais et dérangeraient peut-être le projet de leur voyage. Je sens bien, Monsieur, qu'il ne s'agit pas de se faire des défis, mais je crois aussi que les airs supérieurs des Anglais ne doivent pas nous en imposer ».
La réponse digne et mesurée autant qu'énergique de Louis XIV, fut communiquée par d'Iberville à Stanhope, le 24 octobre. Celui-ci, affectant l'ironie, plaignit d'Iberville d'être chargé «de soutenir une cause insoutenable», mais ceci était dit sur un ton beaucoup plus conciliant que celui employé lors de la précédente entrevue. D’Iberville aurait été pleinement rassuré, s'il n'avait redouté qu'il n'y eut de la part de Stanhope «une dissimulation pré¬ méditée ».
Louis XIV continua néanmoins à envoyer à son chargé d'affaires des instructions extrêmement conciliantes, sans accepter pourtant de faire interrompre les travaux du canal. Il se retranchait derrière son très sincère désir d'exécuter intégralement le traité de paix. «Vous connaissez la nation anglaise, écrivait-il à d'Iberville; ainsi vous savez qu'il est aisé de lui persuader que cette sincérité est une marque de faiblesse et de crainte que la guerre ne se renouvelle. Ceux qui la désirent profitent de la facilité qu'ils ont d'abuser le peuple ».
Il semblait bien que la cour d'Angleterre cherchât un éclat pour pouvoir entamer les hostilités contre la France. Le 9 novembre, le roi Georges Ier, apercevant à sa cour le comte Corneille de Nassau qui arrivait de Flandre, lui demanda publiquement ce qu'il pensait du nouveau canal de Mardyck. Le comte répondit que c'était un ouvrage magnifique, qu'on y travaillait avec une diligence incroyable et qu'il pourrait contenir de nombreux vaisseaux de guerre. Le Roi lui ayant demandé s'il y avait de nombreuses troupes françaises en Flandre et à Dunkerque, le comte de Nassau assura qu'il en arrivait constamment de nouvelles et qu'on avait même suspendu la réforme. D'Iberville était placé exactement derrière le roi pendant cette conversation. Georges Ier s'étant retourné, il prit spontanément la parole, déclarant que les troupes envoyées en Flandre étaient destinées à compléter les garnisons, et que si la réforme était suspendue, ce qu'il ignorait, la cause en était aux bruits de guerre qui se répandaient, ajoutant que si le Roi ne la désirait pas, la déclaration que Stanhope lui avait faite par son ordre au sujet du canal, pouvait donner lieu de croire qu'un parti à la Cour d'Angleterre «pour des vues particulières » conseillerait de rompre avec la France.
D'Iberville profita de l'occasion pour exposer longuement au Roi les raisons qui avaient obligé Louis XIV à créer un nouveau canal. Georges Ier lui répondit en homme fort au courant de la question et en s'appuyant sur les arguments favoris d'Armstrong. La discussion tourna court sur une remarque du comte de Nassau.
Cette discussion, si contraire aux usages diplomatiques, produisit une profonde impression sur tous les courtisans ; pour d’Iberville «elle était la preuve que le Roi ne voit que par les yeux des whigs mal intentionnés qui l'entourent ». Louis XIV, en apprenant cet incident, manifesta une surprise dédaigneuse que le roi d'Angleterre fut entré dans une discussion qu'il aurait du laisser à ses ministres «plutôt que de traiter lui-même cette matière en présence de toute sa cour ». Il affirma, à nouveau son intention de terminer le canal, déclarant que toutes les représentations qu'on pourrait lui faire à ce sujet seraient inutiles.
A cette époque, la menace d'une nouvelle coalition contre la France à l'instigation de l'Angleterre se précisait : Stanhope était à Vienne pour offrir à l'Empereur une alliance offensive contre la France. En Angleterre, de nombreuses publications excitaient l'opinion contre Louis XIV ; dans une de ces brochures, l'auteur affirmait que la création du canal de Mardyck était un motif suffisant pour obliger l'Angleterre à recommencer la guerre. Mais Stanhope ayant complètement échoué dans sa mission, l'orage s'apaisa temporairement. Lors d'un diner chez Marlborough auquel était convié d’Iberville, le général et le ministre affirmèrent au diplomate français «qu'ils n'étaient plus gens de guerre et ne voulaient plus en entendre parler, si le roi de France voulait bien les laisser en repos». A Versailles, Prior lui-même, ne parlait plus du canal de Mardyck. Mais ce n'était qu'une accalmie. Armstrong, resté à Londres, «piqué au vif que les Anglais raisonnables lui imputent la faute d'avoir forcé le Roi à ouvrir un canal pour suppléer aux écluses dont il n'a pas voulu laisser subsister une seule », continuait à affirmer que dans deux ans, Dunkerque aurait retrouvé son ancienne prospérité. D'autre part, les whigs au pouvoir avaient décidé le rappel de Prior et son remplacement comme ambassadeur par le comte de Stair, un des plus ardents champions du parti et animé d'une haine violente contre la France. Le nouvel ambassadeur arriva à Versailles au moment précis où, après une messe solennelle, Le Blanc avait fait ouvrir l'écluse du nouveau canal et où les eaux s'étaient pour la première fois, écoulées à la mer.
Le 5 février, lord Stair remit à de Torcy un mémoire destiné au Roi dans lequel, prétendant que Louis XIV n'avait jamais connu les faits sous leur véritable jour, il renouvelait les doléances des commissaires. Il terminait en déclarant que le roi d'Angleterre considérait le nouveau canal comme une entreprise contraire au traité d'Utrecht.
De Torcy se contenta de faire passer le mémoire à Le Pelletier, pour établir un projet de réponse en reprenant les raisons «déjà plusieurs fois débattues ». Impatient, lord Stair écrivit le 15 février à de Torcy qu'il s'agissait d'une affaire très sérieuse par suite de l'inquiétude où se trouvait le roi d'Angleterre relativement aux intentions de Louis XIV.
Il accusait le Roi de construire un port «qui menace ruine au commerce de ses voisins et une invasion de la Grande Bretagne. On croira que la France est bien puissante, si vous voulez, et qu'elle le peut devenir encore davantage ; mais au bout du compte est-il utile de renouveler de telles jalousies?» Il terminait par une menace non déguisée : «Songez y mûrement, Monsieur, avant que de donner des conseils violents au roi ».
Pour ne pas envenimer la querelle, de Torcy pria Le Pelletier d'activer la réponse au mémoire de lord Stair et il en donna lecture au Conseil du Roi le dimanche 17 février. Il ne remit pas immédiatement cette réponse à l'ambassadeur d'Angleterre, préférant avoir au préalable une entrevue avec lui. Cette entrevue eut lieu le 21 février.
Lord Stair débuta brutalement en réclamant la réponse à son mémoire. De Torcy lui répondit qu'il avait lu son mémoire, mais, qu'avant d'y répondre, il désirait savoir si l'ambassadeur demandait des éclaircissements propres à maintenir la paix, ou s'il ne cherchait que des prétextes de querelle. Dans ce dernier cas, il était inutile de perdre du temps en lui exposant les véritables intentions du Roi. Lord Stair, décontenancé, affirma que le Roi d'Angleterre désirait le maintien de la paix. On entama alors la discussion sur le comblement du port.
Lord Stair fut obligé de reconnaître que la communication avec la mer était supprimée. Au sujet du canal, de Torcy réitéra l'affirmation que Louis XIV avait été contraint de construire un nouveau canal par suite de l'intransigeance des Anglais, qui avaient fait détruire toutes les écluses. L'ambassadeur demanda si son maître n'aurait aucune satisfaction à ses justes demandes concernant le canal «article essentiel à la conservation de la paix ». De Torcy répliqua que le Roi ne lui avait pas encore commandé de répondre à son mémoire. Le sang à la figure, et haussant le ton, l'ambassadeur s'écria «qu'il savait bien qu'en France on comptait beaucoup sur les divisions domestiques de l'Angleterre, mais qu'on verrait son maître aussi absolu dans l'intérieur de son royaume qu'il était puissant et respecté au dehors». Puis, sortant de sa poche deux feuillets détachés de l’almanach royal pour l'an 1715, il prétendit qu'en France on rabaissait son maître, puisque l’almanach ne le portait qu'au rang d'Electeur de Hanovre et non de Roi d'Angleterre. Le prenant de très haut, de Torcy répondit que le Roi d'Angleterre, si délicat sur ce qui touchait l'honneur des souverains, n'avait pourtant fait aucune remarque sur le sermon prêché récemment par l'évêque de Salisbury, dans lequel «les invectives prononcées en chaire contre les maximes et contre le gouvernement d'un prince voisin de l'Angleterre, étaient si fortes et si mal déguisées, que le Roi aurait eu plus de sujet d'en être offensé que le Roi d'Angleterre, d'un almanach qui n'était ni revu ni corrigé par les ministres de Sa Majesté ».
Lord Stair se borna à répondre que jamais un pareil sermon n'avait été prononcé et prit congé du ministre.
La violence et l'emportement de l'ambassadeur anglais avaient été vaincus par le calme et l'habileté du grand diplomate qui, sous la direction de Louis XIV, régentait toute la diplomatie européenne.
Comme le faisait observer de Torcy, «si l'on avait voulu se fâcher, il pouvait y donner lieu, mais ce n'est pas l'intention de Sa Majesté ». Louis XIV consentit même à donner une réponse écrite au mémoire de lord Stair, quoique cela ne fut l'usage et put amener «de nouvelles contradictions et de nouvelles disputes ».
La modération de Louis XIV, ainsi que le ton un peu dédaigneux et condescendant qu'il employa dans sa réponse au mémoire de lord Stair, peut-être également la crainte de complications intérieures en Grande-Bretagne, amenèrent une détente marquée dans les rapports entre les deux couronnes. Dans les entrevues suivantes qu'il eut avec de Torcy, lord Stair ne s'emporta plus pour des futilités comme celle de l'almanach royal ; il affirma que si Louis XIV voulait bien faire achever le canal de manière qu'il ne put être utilisé que par des vaisseaux marchands, d'un tonnage dont on conviendrait, à l'exclusion des navires de guerre, le Roi d'Angleterre ne demanderait plus la destruction du canal «même n'exigera pas que ce nouveau canal ne puisse être un port ». Le 13 mars, l'ambassadeur obtint une audience du Roi, et réclama une réponse plus précise à son mémoire. Louis XIV, justement blessé de la manière dont les demandes lui avaient été faites, refusa d'entrer dans aucun accommodement propre à dissiper les prétendues craintes des Anglais, malgré les avis conciliants de Torcy. Il craignait que s'il cédait aux instances de lord Stair, les whigs ne fissent croire en Angleterre, que la crainte d'une nouvelle guerre l'empêchait de persister à affirmer qu'il restait libre de faire exécuter sur ses terres les travaux non interdits par le traité d'Utrecht.
D'autre part, les whigs attaquaient violemment les ministres tories de la Reine Anne, qu'ils accusaient d'avoir été achetés par Louis XIV et, par suite, de n'avoir pas introduit dans le traité, l'interdiction de créer un nouveau port dans le voisinage de Dunkerque. C'était là encore un motif pour Louis XIV, de ne pas céder aux whigs qui «se seraient fait honneur de réparer par leur fermeté le préjudice que la négligence, comme ils ne manqueraient pas de le dire, la trahison du gouvernement précédent, aurait causé à la nation anglaise ». Reconnaissant que dans un pays de libre discussion comme l'Angleterre, l'opinion publique devrait être éclairée, Louis XIV demandait à d’Iberville de faire publier à Londres le mémoire de lord Stair et sa réponse à ce mémoire. Afin d'éviter qu'on put le soupçonner • d'être l'instigateur de cette publication, d'Iberville envoya mémoire et réponse à l'ambassadeur de France en Hollande, pour les faire insérer dans la Gazette d'Amsterdam, certain que dès qu'un exemplaire de la Gazette arriverait à Londres, il serait traduit et imprimé dans les trois jours.
Lord Stair remit le 26 mars un nouveau mémoire demandant de la part du Roi Georges Ier, si Louis XIV n'avait pas quelque expédient à proposer «pour empêcher que le nouveau canal ne devienne port ». N'ayant pas reçu de réponse quarante-huit heures après, Lord Stair s'en plaignit à de Torcy. Mais le Roi était persuadé que cette insistance de lord Stair avait uniquement pour but d'obtenir, par des concessions de la France, une base solide pour établir les accusations contre les ministres de la Reine Anne. L'ambassadeur d'Espagne à Londres, le marquis de Monteleon, informa d' Iberville que le 29 mars, Stanhope lui avait confié qu'on avait dit à Versailles que le Roi aurait pu proposer une solution pour l'affaire du canal de Mardyck «si l'on eut voulu se désister de l'accusation des ministres de la Reine » et que des personnages «du premier rang » à la cour de Versailles, prétendaient que si le Roi restait sourd aux demandes de lord Stair, c'était pour ne pas accabler les anciens ministres qui avaient manqué de prévoyance.
Cette allusion à certains grands personnages de la cour de Versailles qui, vis à vis de l'Angleterre, pratiquaient une politique plus conciliante que celle de Louis XIV, visait le duc d'Orléans, le futur Régent et ses partisans, que nous verrons devenir plus tard les alliés des whigs.
Pour prouver une fois de plus son ardent désir de conciliation, Louis XIV fit mettre sous les yeux de lord Stair le plan du canal entre l'écluse et la mer, affirmant qu'il ne ferait pas continuer l'approfondissement du chenal ; il interdit même de tenir les écluses fermées pour éviter que des chasses d'eau à marée basse ne vinssent dégager le chenal des sables qui l'encombraient. Stair déclara que cette affirmation ne pouvait constituer la «sûreté réelle que le Roi d'Angleterre et la nation demandaient pour l'avenir ». Mais qu'on pourrait terminer le différent si le Roi consentait qu'il fut nommé de part et d'autre des ingénieurs qui détermineraient le point où les jetées partant de l'écluse vers la mer, devraient cesser pour ne pas rendre le canal accessible aux vaisseaux de guerre et aux grands vaisseaux marchands.
C'était remettre l'affaire entre les mains des experts. A une époque toute récente, nous avons connu de fréquentes tractations diplomatiques où ce système, déjà cher aux diplomates anglais du XVIIIe siècle, fut remis en honneur par leur successeurs.
Mais Louis XIV n'accepta pas de s'en remettre à des experts «parce que leurs constatations réciproques formeraient de nouvelles difficultés au lieu d'aplanir les anciennes » et après avoir fait étudier par Le Pelletier la proposition de lord Stair, il décida, conformément aux conclusions de son Directeur des fortifications, de refuser de commettre à des ingénieurs anglais «la décision de l'affaire ».
Ce refus de Louis XIV gênait les ministres du roi d'Angleterre dans les poursuites qu'ils avaient engagées contre le précédent ministère. Stanhope remit au Parlement «les mémoires, papiers et procédures » concernant la démolition de Dunkerque, et le Parlement décida de les adresser au Comité secret, chargé d'examiner la conduite des ministres de la Reine Anne. L'opinion publique anglaise semble avoir été très partagée à ce moment; les uns étaient d'avis de déclarer la guerre à la France, les autres, au contraire, affirmaient que les lourds impôts nécessaires pour solder les frais de la précédente guerre, ne permettraient pas au Parlement, d'en entreprendre une nouvelle.
Lord Stair réclama, suivant son habitude, une prompte réponse à sa proposition. Louis XIV lui fit répondre verbalement par de Torcy, qu'il la déclinait; l'ambassadeur insista pour obtenir une réponse écrite qui lui fut refusée, d’Iberville ayant reçu des instructions à ce sujet. Lord Stair prétendit que charger d'Iberville de répondre directement à Londres aux ministres anglais sur une proposition faite par lui à Versailles, constituait une offense, et il réclama à nouveau une réponse écrite ajoutant que, puisque le Roi remettait en d'autres mains la négociation, il ne s'occuperait plus du canal de Mardyck. A juste raison, de Torcy considéra cette feinte «comme finesse de nouveau négociateur et ayant, dans une entrevue avec lord Stair, observé le silence sur la question du canal, l'ambassadeur anglais remit la question sur le tapis, affirmant que si le Roi voulait bien donner l'ordre de ne pas prolonger les jetées jusqu'au niveau de la basse mer, ce serait un moyen de finir la contestation.
Lord Stair était parvenu à rallier à sa cause «un certain nombre de gens toujours disposés à se laisser éblouir par les propositions captieuses des ennemis du Roi », écrivait de Torcy à d'Iberville, sans indiquer plus clairement le parti du duc d'Orléans qui, partisan d'une politique d'accord avec le ministère whig, menait alors campagne à Versailles pour que l'on abandonnât les travaux du canal. Précisément à cette époque, l'ardent et actif promoteur du canal, l'Intendant Le Blanc, venait d'arriver à Versailles. Il obtint d'être entendu au Conseil du Roi et parla si éloquemment en faveur de son œuvre, qu'il fut décidé de terminer les travaux conformément au plan primitif. Lord Stair, devant cet échec, ne resta pas inactif. Il envoya à Londres Gardiner, un de ses aides de camp, qui répandit habilement la rumeur que Louis XIV avait déclaré ne plus vouloir répondre aux mémoires de l'ambassadeur d'Angleterre et que, depuis l'arrivée de Bolingbrocke, réfugié en France pour échapper aux whigs, il n'y avait plus d'espoir d'arriver à un accommodement sur la question du canal. Il ajoutait, que la France était plongée dans une misère si extrême qu'elle ne pourrait soutenir une nouvelle guerre et que le Parlement devait prendre les résolutions indispensables pour obliger Louis XIV «à réparer une contravention manifeste à la paix, qui expose l'Angleterre à la ruine de son commerce et à une invasion ». C'était reprendre une fois de plus les arguments favoris des whigs depuis la conclusion de la paix d'Utrecht.
Ainsi excités par les discours de Gardiner, connaissant l'existence à Versailles d'un parti favorable a leurs desseins, les whigs, qui constituaient les deux tiers du Parlement, allaient-ils déclarer la guerre à la France ? D’Iberville le redoutait d'autant plus que certains torys n'étaient pas opposés à un conflit, espérant provoquer des troubles en Angleterre et ramener le prétendant sur le trône. Les ministres anglais qui craignaient la guerre civile, avaient besoin de mettre sur pied une armée nombreuse, et une guerre avec la France était la meilleure façon d'obtenir du Parlement les fonds nécessaires pour la solder. Enfin, le roi Georges Ier qui désirait joindre la ville de Brème à ses états d'Allemagne, voyait également dans une guerre étrangère, l'occasion de lever des troupes en Hanovre pour s'emparer de ce port.
Louis XIV ne redoutait pas une guerre prochaine «connaissant assez l'état de la nation anglaise » pour ne pas croire qu'elle préférerait à ses propres intérêts «la satisfaction de ceux qui ont aujourd'hui le plus de crédit en Angleterre». Et lord Stair ayant déclaré qu'il demanderait son rappel et ne serait pas remplacé, le Roi faisait savoir qu'il ne s'opposerait nullement à cette solution.
Stanhope, s'apercevant qu'on ne pouvait rien obtenir de Louis XIV par des menaces, se décida à employer une voie nouvelle pour assurer le triomphe de sa politique. A la fin du mois d'avril, il pressentit l'ambassadeur d'Espagne à Londres, le comte de Monteleon, qui accepta de s'entremettre auprès de Torcy, mais à la condition que d’Iberville serait tenu au courant de ses négociations. Louis XIV fit savoir à d’Iberville qu'il ne pouvait être question de négocier, puisqu'il avait entièrement satisfait au traité ; ce qu'il avait proposé au Roi d'Angleterre, sans y être obligé, avait pour but «de faire cesser tout prétexte d'ombrage, de division et de rupture ». Il autorisait d’Iberville à instruire Monteleon de toute l'affaire de Dunkerque et à lui communiquer mémoires et plans. Monteleon pourrait en entretenir Stanhope, «non comme chargé de ma part de négocier avec lui, mais comme informé de ce qui s'est passé, sachant positivement que je crois avoir fait beaucoup que d'être entré dans des tempéraments et que certainement je n'irai pas au delà de ce que j'ai fait dire au comte de Stair ».
Il était difficile à l'ambassadeur d'Espagne de concilier, dans de semblables conditions, la thèse de Louis XIV avec les prétentions des whigs. Pendant une période de plusieurs semaines, les ministres anglais, occupés exclusivement du procès de trahison qu'ils avaient intenté à leurs prédécesseurs, laissèrent s'assoupir la question du canal de Mardyck. Seul, lord Stair, persistait dans ses attaques contre la France ; dans ses dépêches, il dépeignait la misère du royaume de France en termes si pathétiques, qu'il aurait excité la compassion des ministres anglais «s'ils en étaient capables pour des Français ». L'ambassadeur d'Angleterre continuait également ses obscures intrigues avec le duc d'Orléans. De Torcy, au courant de ses menées, faisait surveiller son hôtel par le lieutenant de police d'Argenson, afin d'être averti des personnages qui, y fréquentaient régulièrement.
Ainsi excités par les discours de Gardiner, connaissant l'existence à Versailles d'un parti favorable a leurs desseins, les whigs, qui constituaient les deux tiers du Parlement, allaient-ils déclarer la guerre à la France ? D’Iberville le redoutait d'autant plus que certains torys n'étaient pas opposés à un conflit, espérant provoquer des troubles en Angleterre et ramener le prétendant sur le trône. Les ministres anglais qui craignaient la guerre civile, avaient besoin de mettre sur pied une armée nombreuse, et une guerre avec la France était la meilleure façon d'obtenir du Parlement les fonds nécessaires pour la solder. Enfin, le roi Georges Ier qui désirait joindre la ville de Brème à ses états d'Allemagne, voyait également dans une guerre étrangère, l'occasion de lever des troupes en Hanovre pour s'emparer de ce port.
Louis XIV ne redoutait pas une guerre prochaine «connaissant assez l'état de la nation anglaise » pour ne pas croire qu'elle préférerait à ses propres intérêts «la satisfaction de ceux qui ont aujourd'hui le plus de crédit en Angleterre». Et lord Stair ayant déclaré qu'il demanderait son rappel et ne serait pas remplacé, le Roi faisait savoir qu'il ne s'opposerait nullement à cette solution.
Stanhope, s'apercevant qu'on ne pouvait rien obtenir de Louis XIV par des menaces, se décida à employer une voie nouvelle pour assurer le triomphe de sa politique. A la fin du mois d'avril, il pressentit l'ambassadeur d'Espagne à Londres, le comte de Monteleon, qui accepta de s'entremettre auprès de Torcy, mais à la condition que d’Iberville serait tenu au courant de ses négociations. Louis XIV fit savoir à d’Iberville qu'il ne pouvait être question de négocier, puisqu'il avait entièrement satisfait au traité ; ce qu'il avait proposé au Roi d'Angleterre, sans y être obligé, avait pour but «de faire cesser tout prétexte d'ombrage, de division et de rupture ». Il autorisait d’Iberville à instruire Monteleon de toute l'affaire de Dunkerque et à lui communiquer mémoires et plans. Monteleon pourrait en entretenir Stanhope, «non comme chargé de ma part de négocier avec lui, mais comme informé de ce qui s'est passé, sachant positivement que je crois avoir fait beaucoup que d'être entré dans des tempéraments et que certainement je n'irai pas au delà de ce que j'ai fait dire au comte de Stair ».
Il était difficile à l'ambassadeur d'Espagne de concilier, dans de semblables conditions, la thèse de Louis XIV avec les prétentions des whigs. Pendant une période de plusieurs semaines, les ministres anglais, occupés exclusivement du procès de trahison qu'ils avaient intenté à leurs prédécesseurs, laissèrent s'assoupir la question du canal de Mardyck. Seul, lord Stair, persistait dans ses attaques contre la France ; dans ses dépêches, il dépeignait la misère du royaume de France en termes si pathétiques, qu'il aurait excité la compassion des ministres anglais «s'ils en étaient capables pour des Français ». L'ambassadeur d'Angleterre continuait également ses obscures intrigues avec le duc d'Orléans. De Torcy, au courant de ses menées, faisait surveiller son hôtel par le lieutenant de police d'Argenson, afin d'être averti des personnages qui, y fréquentaient régulièrement.
L'état de santé de Louis XIV, mauvais depuis quelque temps, empirait alors, et le 1er septembre 1715 au matin, le grand Roi mourait à Versailles. Sa politique énergique et ferme vis-à-vis de l'Angleterre disparaissait avec lui. Engagé depuis le mois de février 1715 dans des négociations secrètes avec lord Stair, le duc d'Orléans lui avait promis de donner à l'Angleterre entière satisfaction au sujet du canal de Mardyck, et il devait tenir, comme Régent, la parole qu'il avait donnée comme duc d'Orléans.
Tenace et patiente, l'Angleterre allait obtenir aisément de Philippe d'Orléans, ce que les intrigues d'Armstrong, les bonnes relations de Bolingbrocke et de Torcy, les rodomontades de lord Stair, même les menaces de guerre de Stanhope, n'avaient pu arracher à Louis XIV. Le canal de Mardyck, cette œuvre admirable de Le Blanc et de Moyenneville, devait en effet être détruit peu de temps après, sacrifié à l'alliance de l'Angleterre par le Régent et son ministre, le cardinal Dubois.
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