HISTOIRE: DUNKERQUE SOUS LE DIRECTOIRE ET LE CONSULAT. 1795/1804.
DUNKERQUE SOUS LE DIRECTOIRE ET LE CONSULAT.
(1795-1804).
L'exaltation avait été trop grande, l'énergie trop surexcitée, les difficultés trop multipliées pour qu'on ne tombât pas dans une espèce d'abattement, de torpeur, d'extrême lassitude qui suit ordinairement les grandes crises. La misère s'était ajoutée à tous les dangers courus, aux embarras de toutes sortes, aussi, comme nous l'avons vu, la municipalité dunkerquoise, méconnue, calomniée, se voyait sans force ; la garde nationale abandonnait les postes ; à peine s'il s'organisait quelques patrouilles pour défendre la ville contre les vols nombreux que la misère y faisait commettre. On ne veillait même plus à la salubrité ; plus d'éclairage public, plus de propreté des rues ; certains quartiers étaient de véritables cloaques; la population décroissait, décimée par les maladies, résultat des nourritures malsaines et insuffisantes.
Des jours meilleurs semblèrent enfin s'annoncer ; le prix du blé baissa, la misère diminua ; on améliora le sort des employés de la ville, on projeta d'utiles établissements, un jardin botanique, une ligne télégraphique, etc. Puis après ce moment d'accablement vint la réaction ; elle se montra d'abord contre ceux devant qui l'on avait tremblé.
Côrdange avait quitté Dunkerque ; il y revint, mais pour être insulté par les enfants mêmes, et il ne dut la vie qu'à l'un de ceux à qui il avait voulu la ravir. Emmery, le voyant poursuivi, fit semblant, pour l'arracher à la vindicte publique, de le conduire prisonnier à l'Hôtel-de-Ville d'où il le fit partir clandestinement.
Les royalistes commencèrent à laisser percer leur espoir du retour du régime monarchique ; les prêtres non assermentés, qui n'étaient plus traqués comme des bêtes fauves, virent la foule accourir à leurs messes, etc.
Pendant ce temps celui qui devait être bientôt le maître de la France, s'illustrait par la première campagne d'Italie. Bonaparte, le vainqueur de Lodi, d'Arcole, le signataire du traité de Campo-Formio par lequel le Rhin était donné pour limite à la France, vint à Dunkerque le 12 février 1798, accompagné du général Lannes. Il inspecta la rade, visita les fortifications : il s'agissait encore une fois d'une invasion en Angleterre.
Cette nouvelle fut bien accueillie à Dunkerque où s'était ravivée l'antipathie contre une nation qui ne cessait de convoiter notre ville ou de vouloir l'anéantir. Des émissaires anglais vinrent à Dunkerque : il fallut se mettre sur ses gardes et augmenter les moyens de défense. On établit en rade des batteries flottantes et des frégates canonnières. Toute notre haine se réveilla quand on apprit que les Anglais avaient enlevé ou coulé douze à quinze bateaux de pêche dunkerquois et envoyé les équipages aux pontons.
Malgré la misère, on trouva encore moyen d'armer pour la course, de fournir à l'emprunt levé pour l'expédition : l'énergie revint au cœur des Dunkerquois et ils le prouvèrent quand, à la nouvelle qu'Ostende était attaquée, bombardée, en mai 1798 ils coururent à sa défense et repoussèrent le raid Anglais.
L'enthousiasme de la foule se traduit dans les passages suivants du discours que le maire de Dunkerque (Philippe Dequeux de Saint Hilaire) prononça quelques jours après, à l'occasion de la fête des Victoires : « Je vous prends à témoin, ô plaines de la Champagne, redoutes de Jemmapes, champs de Fleurus deux fois fameux ! Et vous, murs de Lodi et d'Arcole, sables de Quiberon, de Dunkerque, d'Ostende, dites à l'univers que nos guerriers ont porté l'étendard de la liberté des marais fangeux de la Hollande aux bords fertiles de la mer Adriatique ! Que les noms des guerriers proclamés par la reconnaissance nationale soient l'effroi de l'Angleterre ! Puissent les coups que nous allons porter à cette implacable ennemie être les derniers dont l'humanité ait à gémir !... Oui, l'orgueilleux insulaire sera humilié, sera puni ! J'en jure par le dévouement, l'intrépidité de nos marins! J’en jure par la gloire de nos armées, j'en jure par le génie du général qui n'a jamais été vaincu! ».
Ce général était Bonaparte à qui le Directoire confia l'expédition d'Egypte : c'était toujours l'Angleterre qu'il s'agissait d'atteindre, car on voulait détruire son commerce des Indes.
Mais le Directoire, en lutte contre le Corps législatif, était sans force ; à l'extérieur nos ennemis relevaient la tête ; à l'intérieur les agitations recommençaient: tout était de nouveau en péril, c'étai: encore une fois l'anarchie. Pour y échapper, la France se jeta dans les bras de Bonaparte qui, à son retour d'Egypte, renversa le Directoire et établit le CONSULAT, 10 novembre 1799. Il y eut d'abord trois consuls : Bonaparte, Sieyès et Roger-Ducos.
Mais Bonaparte ne tarda pas à faire accepter une nouvelle Constitution, dite de l'an VIII (7 février 1800), qui lui laissait, avec le titre de premier consul, presque toute l'autorité. On ne le connaissait que comme général, il se montra grand administrateur, rétablissant l'ordre, rappelant les proscrits, calmant les haines civiles, rouvrant les églises, réorganisant l'administration. Le Consulat fut pour toute la France et pour Dunkerque en particulier un temps de renaissance. L'ordre amena quelques améliorations à la situation financière de la ville et des hospices : ceux-ci pouvaient à peine fournir du pain et de l'eau aux cinq cents pauvres qui y trouvaient asile. Grâce au Concordat conclu avec le St-Siége par le premier consul, les églises furent rendues au culte catholique. Schelle, curé de Dunkerque, nommé évéque, ne garda pas longtemps cette dignité et revint, simple prêtre, à Dunkerque.
Le 13 juin 1802, Belmas, évéque du Nord, officia pontificalement à St-Eloi : l'affluence des fidèles, la pompe des solennités montrèrent que la religion avait enfin d'heureux jours.
On pouvait espérer une paix sérieuse. Dans une seconde campagne au delà des Alpes, le vainqueur de Marengo avait reconquis l'Italie, forcé l'Autriche à signer la paix de Lunéville et fait accepter à l'Angleterre le traité d'Amiens (25 mai 1802). Sous son administration le commerce avait repris son essor , les finances se relevaient, les routes, les ports étaient réparés, les arsenaux se remplissaient ; Dunkerque se ressentait de cette direction forte et intelligente ; son octroi était remis en vigueur, le nouveau système de poids et mesures introduit, l'éclairage réorganisé, la Chambre de commerce rétablie, un cercle littéraire fondé, un conseil de commerce et d'agriculture constitué ; les franchises du port que la Convention avait supprimées, étaient réclamées ; les chantiers de construction retrouvaient leur ancienne activité ; Dunkerque devint chef-lieu de Sous-Préfecture et siège du tribunal de première instance.
Quelques hommes dévoués, Kenny, Dequeux-St-Hilaire, Coffyn, et surtout Emmery, (tous maires de la Ville) avaient grandement aidé à cette espèce de résurrection. Mais Dunkerque fut à plusieurs reprises épouvantée par de fausses nouvelles. Le 2 juillet 1803, elle reçut celui qui était déjà le grand homme, avec toute la pompe possible, un enthousiasme sincère et une vive reconnaissance.
« Je viens, lui dit le maire (Jean-Marie Joseph Emmery), vous présenter les clefs de la ville et je vous les offre avec orgueil, car je les ai refusées au duc d'York quand, avec quarante mille hommes, il vint nous assiéger et compromettre devant nos faibles remparts sa réputation militaire. Les Dunkerquois, par leur courage, ont concouru à chasser les Anglais de ces bords. Les Dunkerquois n'ont pas dégénéré... Un peuple de braves n'est que plus digne de recevoir un héros. La Patrie et Napoléon, voilà notre cri de ralliement. »
Bonaparte était accompagné de Joséphine, sa femme, de ministres, de généraux. Il assista à la messe célébrée par l'évêque Belmas; il visita le port, la rade, les fortifications; le soir il se rendit au théâtre où le maire adressa un discours à Joséphine et où le petit-fils de l'historien de Dunkerque, Faulconnier, alors âgé 73 ans, lut une pièce de vers aux illustres visiteurs.
Le 6, le premier consul partit pour Lille. « Sa visite eut pour résultat immédiat l'exécution des mesures les plus importantes telles que :
-autorisation de vendre les sels destinés à la pêche,
-importation des genièvres étrangers,
-restitution du collège à l'enseignement,
-réalisation de la seconde paroisse (celle de St-Jean-Baptiste, avec l'église des Récollets),
-réintégration de l'hospice dans la propriété d'un édifice occupé par le génie militaire,
-ordonnance de travaux importants pour le curement des canaux et l'amélioration du port,
-plantation des dunes,
-organisation des secours publics.
Bonaparte avait cru l'Europe pacifiée par le traité d'Amiens ; mais les Anglais, sans déclaration de guerre, capturèrent des navires français; il résolut alors une descente en Angleterre et en poussa les préparatifs avec une activité merveilleuse. Il vint plusieurs fois à Dunkerque autour de laquelle on projetait deux camps, l'un à Mardyck, l'autre à Rosendaël. Il visita de nouveau la côte, les chantiers, les bassins, passa en revue la garnison sur le bord de la mer, s'attirant de plus en plus les chaleureuses sympathies que, sur la proposition d'Emmery, le conseil municipal exprima dans l'adresse suivante : « Le héros qui a détruit l'anarchie et mis un terme aux horreurs d'une longue révolution, c'est Napoléon Bonaparte! Quels droits n'a-t-il pas par ses vertus et ses victoires à la reconnaissance publique? Celui qui sauva son pays, qui sagement le gouverne, celui-là seul est digne de fixer les hautes destinées d'une grande et généreuse nation. L'hérédité est devenu le vœu général... Elle appelle un chef ! Eh bien ! que ce soit le héros que la France révère, que ce soit l'invincible Napoléon ! Qu'il le soit surtout sous le titre glorieux d'Empereur ! Ce titre rappellera de grands souvenirs et les beaux jours de la France sous le règne à jamais mémorable de l'Empereur Charlemagne. Tels sont les vœux ardents, mais sincères, des autorités civiles, comme de tous les habitants de la ville de Dunkerque. »
Plus de trois millions et demi de voix affirmèrent ces vœux du pays, et le 18 mai 1804, I'empire héréditaire était rétabli.
Source: L. Mordacq. 1872
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