LES PECHEURS D'ISLANDE : Notre-Dame-des-Dunes, (la petite-Chapelle)
Le son d'une cloche, tintant comme pour la prière s'élève dans l'air, non loin du port.
Aussitôt tout ce monde si occupé, si animé, s'arrêta soudainement, déposant paquets, paniers et charrettes, et se mit en devoir de quitter les quais.
Ainsi commence Folhuys fête que se procurent les équipages des navires de pêche quelques jours avant leur départ. Tous les marins de chaque bateau, auxquels s'adjoignent leurs femmes, entendent simultanément la messe.
Le midi, ils se réunissent de nouveau dans quelque auberge pour y prendre un repas en commun, et le soir, ils se livrent à des danses au son du violon. L'armateur fait les frais de la journée pour une somme fixe, et l'équipage qui ne sait pas toujours se borner dans ses amusements, en supporte le reste.
On se livre assez fréquemment à des excès, dans ces réunions où la bière et les spiritueux coulent à grands flots, et comme la mésintelligence dans un équipage est une chose fâcheuse, les armateurs ont fait tout ce qu'ils ont pu pour abolir cette fête. Quelques-uns ont réussi et paient, pour en faire un meilleur usage, à chaque homme, lors de la liquidation des avances, une certaine somme à titre de folhuys.
Extrait d’une année à Dunkerque de Victor Letellier .
Se réunissant en une masse compacte, matelots, capitaines, armateurs, femmes et enfants marchèrent, et arrivèrent à la Chapelle de Notre-Dame des Dunes.
Une partie de cette foule pénétra à l'intérieur, qui peut contenir à peu près cent cinquante personnes, tandis que la plus grande quantité, hommes, femmes, enfants de tous les âges, de toutes les classes de la société, s'agenouillèrent pieusement, les uns sur la terre ou l'herbe, les autres sur des chaises ou des bancs, rangés, là, comme dans une église.
Bientôt, au milieu d'un respectueux silence, la cloche ayant cessé de tinter, l'orgue résonna dans la chapelle, et une voix harmonieuse et douce mais vibrante s'élève, traversant les larges fenêtres ogivales ouvertes, pour aller s'envoler au dehors, par-dessus les têtes des fidèles assemblés.
Lorsqu'elle se tut, ce fut comme une immense évocation qui sortit de toutes les poitrines à la fois, sur le même chant que la voix avait fait entendre et dont les paroles, prononcées par ces milliers de bouches, avaient quelque chose de solennel el de touchant :
« Étoile de la mer, protégez-nous ;
« Mère des pêcheurs, soyez nous propice;
« Veillez sur nos enfants, ramenez-nous au port.»
Un profond sentiment religieux, une émotion vive accompagnent les voix, à travers lesquelles, par instants, passent des sanglots, des murmures rauques de vieillards qui ne savent plus chanter, des cris de jeunes enfants inconscients de ce qui se passait et qui exprimaient ainsi leur désir de quitter la place ou demandaient dans ce langage, compréhensible pour les mères seules, la chère et tant aimée nourriture qu'elles portent avec elles.
L'hymne immense cessa.
L'orgue vibra de nouveau dans une mélopée lente, avec des notes tendres, mais insinuantes, ressemblant à des paroles prononcées par un être divin.
Une odeur d'encens passa légère et furtive. Une clochette tinte. Les têtes se penchèrent vers la terre et, sur le seuil de la chapelle semé de feuillage, apparait un prêtre, vieux, voûté, aux cheveux blancs, à la démarche chancelante, qui lève ses mains tremblantes vers la foule et prononça, en la contemplant de son doux regard, bleu voilé par l'âge, ces mots paternels et pleins d'un fervent encouragement :
« Notre-Dame des Dunes vous protégera, mes chers enfants; n'oubliez jamais de l'invoquer à l'heure du péril, et moi, qui ai déjà vu tant de départs, je la prierai de toute mon âme, pour qu'elle vous ramène, cette fois encore, sains et saufs.
«Vous avez assisté ce matin à la sainte messe dite pour vous, comme chaque année, vous venez de recevoir la bénédiction. Allez, allez en toute confiance : la mère de Dieu est avec vous. »
Alors, avec un pieux recueillement, tout, le monde se relève, et, silencieusement, l'on reprit le chemin du port, pour terminer le travail interrompu.
Dans la chapelle qui est, aussi pittoresque à l'intérieur qu'au dehors. Des cierges brûlent de tous côtés, et surtout autour de l'autel.
A la voûte sont suspendus des navires, dont les plus grands ont une longueur de deux mètres. Ils sont construits et gréés comme des navires véritables: les uns ont leurs voiles déployées; les autres les ont serrées aux mâts ; tous portent le drapeau français.
Des chapelets, des rosaires, des scapulaires de toutes les dimensions, de toutes les sortes, des bras, des jambes, des torses, des têtes, des corps entiers en cire pendent aux murs, entre les ex-voto et des tableaux représentant des naufrages ou des malades couchés dans leur lit, portraits très ressemblants des personnes qui en ont fait don par vœu.
L'autel est en bois grossièrement découpé et sans ornements. Il est littéralement couvert de fleurs et d'arbustes au milieu desquels il se distinguait à peine, non de ces fleurs ni de ces arbustes rares dont on se sert généralement pour les fêtes, ni même de ces fleurs de jardins dont on fait des bouquets, mais de celles qui poussent dans les dunes, dans les bruyères, le long de la côte, el d'arbustes sauvages, d'ajoncs verts, d'épines, de chardons, de goémons, de lichen, de branches de sapins.
Au-dessus de l'autel trônait une sainte Vierge, très ancienne, très primitive, toujours la même, depuis l'élévation d'une première chapelle à Notre Dame des Dunes.
Elle est habillée uniquement d'un manteau de soie blanche, pailleté et brodé d'or et d'argent, dont les deux pans de devant, au lieu de retomber sur sa jupe de bois bleu, sont relevés comme deux ailes qui commenceraient à la ceinture et vont se rattacher à des montants en fleurs qui s'élèvent au dessus de sa tête pour former un portique.
A l’extérieur de la chapelle de petites boutiques en plein vent se sont élevées comme par magie et que tiennent des marchands de pâtisserie flamande : panecouke, coukebotterom, wafres, des marchands de jouets, de vêtements, parmi lesquels des vareuses (paletots en toile goudronnée), des suroîts.
Des cabarets ambulants s'étaient ouverts, attendant le chaland. Tout le monde se prépare à la fête. Le soir venu dans les rues des groupes de marins se donnant le bras, des groupes de femmes et d'enfants, les uns gais, les autres attristés; puis, par deux ou trois, des jeunes filles rieuses, mais ayant en réalité le cœur serré ; des mères, des veuves, l'âme prise par une certaine angoisse que cachait mal un semblant de sourire. La était bruyante, lourde, mais honnête et chaste, joie sans gaieté qui est faite, surtout, d'insouciance, de vigueur physique et d'une sorte de défi jeté au destin.
On dansait sur l'herbe au bruit de ces cris, de ces clameurs, de ces chansons qui formaient une cacophonie capable de vous assourdir.
Et, cependant, un sentiment religieux, une mélancolie tendre, une impression sentimentale, planaient sur tout cela avec une sorte de respect des symboles qui protègent et une confiance en la bonne Vierge qui présidait à ces scènes dans l'obscurité de sa demeure.
De çà de là, des marins et des femmes se détachent par intervalles des groupes, pour aller s'agenouiller sur les marches de pierre de la chapelle et y faire une prière.
Lorsque sonne le couvre-feu au Beffroi où se trouve le légendaire Carillon la foule s'écoule paisiblement et chacun regagne sa demeure.
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