LES CORSAIRES " ENFANTS DE DUNKERQUE" ARMAND LEDUC 1764/1832
LEDUC Armand
D’après Emile Mangel
Il
est né à Dunkerque le 11 août 1764.
Il était le fils d'Adrien Leduc et de Jeanne-Thérèse Deprez, tous deux
originaires, de l'Artois.
Dès le 14 avril 1774, il s'embarque, comme mousse, pour
faire la pêche de la morue en Islande. Pendant la saison d'hiver il
resta sur ce bateau qui fit des voyages de cabotage. Le 23 avril, il retournait
en Islande sur la Lombarde, cutter dont Joseph Franque avait pris le
commandement.
Passé novice le 10 février 1776, il continuait à naviguer sur là Lombarde, dont le capitaine
était Amand Siguenèque, et faisait le cabotage et des voyages aux colonies.
Avec le même capitaine, Leduc passa, le 10 février 1777, sur le dogre de pêche
la Providence, avec lequel, pendant seize mois, il navigua activement sur les
côtes de France et des colonies.
A son retour à Dunkerque, il s'embarque sur le cutter le Maraudeur,
commandé par le capitaine au long-cours Bard, armé pour la course. Pendant une
courte, campagne de guerre (8 août-14 octobre 1778), Leduc reçut le baptême du
feu et donna des preuves d'une rare vaillance. Le Maraudeur eut de nombreux
engagements et s'empara de neuf bâtiments. Dans une de ces rencontres, Leduc,
en montant à l'abordage, reçut trois blessures graves à la main et au poignet.
Le 23 février 1779, Leduc reprenait la mer sur le Calonne, dogre armé pour
la course, que commandait le capitaine au long-cours Louis Good. Pendant une
sortie de deux mois et dix jours, ce corsaire prit un cutter anglais de 18
canons, après neuf heures d'un combat meurtrier dans lequel Leduc reçut quatre
blessures : une à la jambe gauche, une au front, et les autres à la tête.
Passé matelot le 12 juin 1779, il fut embarqué, jusqu'au 24 novembre de la
même année, sur la corvette corsaire de 22 canons le Duc de Tissac (capitaines
Winard et Billemont), qui ne fit aucune prise.
De 1780 Armand Leduc effectue de nombreuses croisières commerciales et de
pêche à la baleine.
Leduc, dont l'habileté pratique était connue, avait mis à profit les
loisirs dont il pouvait disposer pendant ses croisières pour préparer, au point
de vue théorique, son examen de capitaine au long-cours.
Muni de son brevet, après une brillante épreuve, il prit le commandement du
Comte de Dillon le 17 juin 1790 et fit une campagne qui se prolongea jusqu'au
1er juillet 1791, sur les côtes de la Nouvelle-Angleterre et à Tabago.
Ce fut sa dernière campagne dans la marine
marchande. Il comptait alors 121 mois, 18 jours de navigation sous voile,
auxquels s'ajoutaient 26 mois, 20 jours de services de guerre sur les bâtiments
corsaires et ceux affectés à la pêche de la baleine.
Malgré l'infériorité numérique et la désorganisation de ses flottes, la
République n'avait pas hésité, le 1er février 1793, à déclarer simultanément la
guerre à l'Angleterre et à la Hollande. L'Autriche, la Prusse, l'Empire
germanique, l'Espagne, le Portugal, le royaume des Deux-Siciles et l'Etat ecclésiastique
s'empressèrent de se coaliser, dès le mois de mars suivant, pour écraser la
France ou, tout au moins, pour éteindre la Révolution.
En présence d'un si grand danger, Leduc ne songea qu'à concourir à la
défense nationale. Quittant la marine du commerce pour entrer dans celle de
l'Etat, il dût être heureux de débuter en contribuant à éloigner l'ennemi de sa
ville natale.
Le 25 avril, l'amiral John Clément,
commandant une division anglaise qui bloquait Dunkerque, avait envoyé au
général commandant la place, une sommation de se rendre ; elle fut repoussée
avec indignation et la marine prit aussitôt les dispositions nécessaires pour
défendre l'accès du port.
Pour suppléer aux forts qui manquaient à l'entrée du chenal, le Chef
maritime Toustain, mettant en pratique les projets de Najac, son prédécesseur,
fit disposer quatre canonnières, armées chacune de deux canons de 24, destinées
à protéger la ville du côté de la mer et à contrarier les travaux des
assiégeants dans les Dunes.
Une flottille de quatre canonnières, armées chacune de deux canons de 24,
destinées à protéger la ville du côté de la mer fût donné au lieutenant de vaisseau Castagnier
que Leduc, nommé enseigne de vaisseau le 8 juin 1793, allait seconder avec un
absolu dévouement.
Pendant toute la durée du siège,
Leduc commanda la canonnière l'Entreprise.
Sa conduite intrépide et son énergie lui valurent d'unanimes félicitations.
Le 21 mars 1794, Leduc prit, à Agde,
le commandement d'un petit brick, auquel fut donné le nom de Dune-Libre. Leduc déploya une grande activité au siège dû
fort Saint-Elme et des autres défenses de Port-Vendres. Après la capitulation
de cette place (17 mai), en récompense de ses services, il fut promu au
grade de lieutenant de vaisseau, le 26 juillet 1794
A ce moment,
les croisières françaises s'étaient étendues. Des divisions de bâtiments légers
parcouraient les côtes de l'Italie, de l'Espagne et celles de Barbarie et de
l'Archipel, pour tomber sur les convois ennemis; de nombreuses prises
arrivèrent ainsi dans nos ports. Six frégates, quatre corvettes, dont le
Hasard, et d'autres bâtiments de rang inférieur, croisèrent pendant plusieurs
mois avec beaucoup d'activité et de succès.
Au commencement de 1795, le Hasard commandé par le lieutenant de vaisseau
Leduc fut appelé à faire partie de l'escadre commandée par le contre-amiral
Martin pour une campagne en méditerranée
Pendant cette campagne, le Hasard
eut le rôle actif d'éclaireur et de répétiteur de signaux. Ce bâtiment, envoyé
en découverte, rallia l'escadre le 11 mars ; il rendit compte qu'il avait eu
connaissance de l'armée anglaise; il avait compté vingt-quatre voiles et avait
été chassé par deux frégates.
Le 13, remarquant combien les signaux étaient mal compris et mal exécutés,
l'amiral prit le parti de faire transmettre ses ordres à
la voix, surtout pendant la nuit; à cet effet, le Hasard et un autre petit
navire, parcoururent constamment la ligne.
En exécution de l'arrêté du 12 juin
1794, le contre-amiral Martin avait arboré, pendant le combat, son pavillon sur
la frégate la Minerve, capitaine Perrée. Ce dernier, dès son retour au port,
adressa, par ordre de l'amiral, une lettre de félicitations au capitaine Leduc,
pour
sa bonne conduite et la précision de ses manœuvres.
Le 28 du même mois, Leduc quittait
le Hasard pour prendre le commandement de la frégate la Junon, armée de 44
canons et Leduc reçut son brevet de capitaine de frégate.
Au moment où Leduc allait cesser d'être sous les ordres du contre-amiral
Martin, cet officier général lui adressa un témoignage de sa satisfaction pour
le zèle et le talent dont il avait donné tant de preuves, dans le commandement
du Hasard et-de la Junon.
Le 17 novembre 1796, le Ministre
avait annoncé que le contre-amiral Brueys commanderait en chef ce qui restait
de vaisseaux armés à Toulon, en remplacement du contre-amiral Martin qui venait
d'être nommé vice-amiral. La Junon était au nombre de ces bâtiments.
L'ordre fut donné au contre-amiral
Brueys, de remettre à la voile pour se rendre à Venise ; il devait ramener,
sous son escorte, les vaisseaux vénitiens et le convoi de munitions.
Il fit route pour cette destination le 27 juin, avec les vaisseaux le
Guillaume-Tell, le Tonnant, l'Aquilon, le Mercure, le Généreux, et l'Heureux,
ainsi que les frégates la Junon et la Justice. Il put faire trois mois de
vivres et de rechanges.
Le 6 octobre 1797, Leduc, forcé de
prendre un congé à Venise pour rétablir sa santé, fut débarqué de la Junon
qu'il avait commandée avec distinction pendant plus de vingt-sept mois. L'amiral Brueys, lui
exprimant les regrets qu'il éprouvait de leur séparation, tint à lui adresser
des félicitations sur sa fermeté, son intelligence et les connaissances qu'il
avait déployées clans ses missions.
Leduc revint alors à Dunkerque où il resta dans la position de congé de
convalescence jusqu'au 19 janvier 1798. Pouvant, à ce moment, reprendre un
service actif, il fut chargé de suivre, à Dunkerque, l'armement des frégates la
Carmagnole, la Désirée, la Poursuivante et l'Incorruptible. Le 5 mars 1800, il
était désigné pour commander ce dernier bâtiment destiné à faire partie de la
division de l'Escaut.
Après une courte croisière, l’Incorruptible
fut désarmée le 11 mars 1801 et Leduc servit à terre dans les ports de
Dunkerque et de Flessingue, du 12 mars au 19 juillet 1801. A ce moment, il fut
chargé de suivre les travaux de réparation et d'armement de l'Incorruptible,
dont il reprenait le commandement le 5 mars 1802.
Le 15 août 1804, lors de la grande
cérémonie pour la fondation de la Légion d'honneur, Leduc reçut, des mains de
l'Empereur, la croix de chevalier de l'ordre.
Le 19, il était appelé aux fonctions de premier adjudant de la Marine, à
Boulogne, poste qu'il occupa jusqu'au mois de février 1806.
A différentes reprises, Leduc avait fait parvenir au Ministre des projets
On s'était contenté, jusqu'alors, de lui donner des témoignages de satisfaction
à ce sujet, mais à la suite d'un dernier travail qui fut remis à l'amiral
Decrès le 12 janvier 1804, ce ministre s'était décidé à
prescrire l'expédition proposée.
Dans les premiers jours de février 1806, Leduc fut appelé à Paris pour
recevoir les instructions du Ministre. Le 11 du même mois, il se rendait à Lorient pour activer l'armement de la petite
division dont il allait avoir le commandement.
Le 3 mars, Leduc sortit de Lorient avec trois frégates et un brick, pour
aller poursuivre les navires anglais qui exploitaient seuls, comme par
monopole, la pêche de la baleine au Spitzberg et sur les côtes de l'Islande et
du Groenland. Ces bâtiments étaient : la Revanche, de 44 canons, capitaine
Leduc ; la Guerrière, de 44 canons, capitaine Hubert; la Sirène, de 40 canons,
capitaine Lambert ; le Néarque, de 16 canons, capitaine Jourdain.
Leduc était un des capitaines de la marine impériale capables de remplir
cette mission avec le plus de succès; il allait la diriger avec un courage égal
à l'habileté que lui avait donnée la pratique de cette navigation dangereuse et difficile. Obligé de
naviguer au milieu des glaces, il ne dut la conservation de ses navires qu'à la
précaution qu'il eut de les faire plastronner de planches et de madriers. Sa
sollicitude, n'avait pas été moins vive pour toutes les précautions hygiéniques
qui pouvaient maintenir la santé de ses matelots.
Après une relâche de quelques jours à Patrix-Fiord, le capitaine Leduc se
rendit au sud du cap Farewell, afin d'intercepter les navires qui venaient du
détroit de Davis. Il remonta au nord de l'Irlande où il resta jusqu'au 28 août.
Les frégates firent alors route au sud et croisèrent sous le cap Clear jusqu'au
17 septembre. Le 27, elles mouillèrent à Bréhat, près de Saint-Malo ; on les fit entrer dans la rivière
de Pontrieux. Les équipages de la Sirène
et de la Revanche avaient beaucoup souffert du scorbut.
Leduc reçut, au nom du Ministre et par ordre de l'Empereur, de vives
félicitations sur la campagne qu'il venait d'accomplir.
Par décret du 27 octobre, il fut nommé capitaine de vaisseau.
Le 11 novembre, il quittait le commandement de la Revanche et rejoignait
Dunkerque en congé de convalescence.
Il servit ensuite à terre, dans son port d'attache et à Anvers. Le 6
septembre 1807, il prenait dans ce dernier arsenal le commandement provisoire
du vaisseau la Ville de Berlin.
Après différentes croisières sur nos côtes, ce bâtiment fut attaché, à
Lorient, à une division sous les ordres du capitaine de vaisseau Troude,
Le commandant Troude, mit à la voile le 26 février 1809. Sa division transportait des troupes, des
vivres et dés munitions à la Guadeloupe et à la Martinique. Ayant appris, à la
mer, que cette dernière colonie était tombée au pouvoir des Anglais, Troude se
dirigea sur les Saintes où il mouilla le 29 mars. Il venait d'informer de son
arrivée le général Ernouf, capitaine général de la Guadeloupe, lorsque des
voiles furent aperçues. Bientôt renforcé par un convoi venant de la Martinique
avec trois mille hommes, l'amiral Cochrane, qui commandait la flotte ennemie
(cinq vaisseaux; cinq frégates et quelques navires de rang inférieur), établit
un étroit blocus. Les troupes britanniques s'emparèrent des hauteurs qui
dominaient la rade et travaillèrent à y élever des batteries.
Menacé d'une destruction complète, Troude résolut de prendre la mer avec ses
trois vaisseaux ; il supposait avec raison qu'il entraînerait à sa suite la
plupart des bâtiments anglais.
Le 14 avril, par une nuit fort obscure et un ciel très chargé, la division
française mit sous voiles et sortit delà
rade; la brise, qui soufflait très fraîche de l'est, lui permit de prendre un
peu d'avance sur l'ennemi.
Le 15, au point du jour, trois vaisseaux, dont un à
trois ponts, et plusieurs frégates, étaient en vue. Le D'Hautpoult restait, un
peu de l'arrière; le brick de 18 canons, capitaine Charles Napier, sur lequel ce
dernier vaisseau tirait avec ses canons de retraite, était le seul navire qui
fut à portée. Le commandant Troude prévint le Polonais et le D'Hautpoult qu'il
mettrait, à huit heures du soir, le cap à l'ouest-nord-ouest, et que le
D'Hautpoult serait, à la même heure, libre de manœuvrer comme il le jugerait
convenable. Quand le moment fut venu, le Courageux et le Polonais mirent le cap à la route
indiquée, tandis que le l’Hautpoult gouvernait plus au nord.
Le 16, lorsque le jour parut, le Courageux et le Polonais, qui
n'apercevaient plus l'ennemi, poursuivaient leur route vers la France.
Lorsque le vaisseau de Leduc se sépara du commandant Troude, il fut suivi
par le Pompée, vaisseau de 82 canons, et par le Neptune, vaisseau à trois ponts
de 108 canons, qui était commandé par Charles Dilkes et portait le pavillon cle
commandement du contre-amiral Alexander
Cochrane. Au jour, le premier était à trois mille et l'autre, plus encore de
l'arrière ; au loin se voyaient les frégates Lalona, de 48 canons, et Castor, de
40. Le 17, à 2 heures 45' du matin, cette dernière frégate commença à envoyer
des boulets au D'Hautpoult; celui-ci, embardant pour la découvrir, ralentit sa
marche et à 4 heures, il fut atteint par le Pompée qui le combattit par le
travers de bâbord, à la portée de pistolet, tandis que la Lalona le canonnait
par la hanche de tribord. Un quart d'heure plus tard, alors que Leduc lançait
sur bâbord pour aborder le vaisseau anglais, le D'Hautpoult reçut un boulet qui
se logea entre le gouvernail et l'étambot, et empêcha le jeu de la barre. Le
capitaine du Pompée s'aperçut aussitôt de la difficulté avec laquelle le
vaisseau français gouvernait, et il en profita pour lui envoyer une bordée
d'écharpe qui fut désastreuse. Le jour se faisait ; dix bâtiments étaient en
vue et, sur ce nombre, deux nouveaux vaisseaux. Les voiles et le gréement du
D'Hautpoult étaient bâchés; ses vergues ne tenaient plus que sur leurs bosses ;
le mât d'artimon et les mâts de hune, percés de part en part, menaçaient de
s'abattre ; sa coque était criblée.
A 5 heures 30', le pavillon fut amené. Leduc avait reçu deux légères blessures
dans les sourcils, par des éclats de bois.
Leduc ne resta pas longtemps prisonnier des Anglais. Du 20 décembre 1810 au
5 mars 1811, il eut le commandement du vaisseau le Tilsilt, clans l'escadre de
l'Escaut.
Le 6 mars, il était appelé à commander le vaisseau le Golymen, qu'il
conduisit de Lorient à Brest. Avec ce bâtiment il fut chargé, pendant plusieurs
années, de faire des croisières aux abords de Brest. Appareillant presque tous
les jours, chaque fois que le temps le permettait, il sortait très souvent du
Goulet et faisait des évolutions jusqu'aux Pierres-Noires, ce qui rendait cette
navigation plus pénible qu'en haute mer.
Débarqué le 23 mars 1814, il eut ensuite (24 mars au 15 juin 1814) le
commandement du vingt-troisième équipage de haut bord, employé à la garde des
côtes de Bretagne.
Le 16 juin, il rentrait à Dunkerque où il resta sans emploi jusqu'au 30
décembre 1815, ayant été admis, à ce moment, à faire valoir ses droits à une
pension de retraite.
Leduc, qui avait assisté à huit combats sur mer et avait été souvent
blessé, comptait alors trente-quatre ans, onze mois, deux jours de services
effectifs.
Le capitaine de vaisseau Leduc est décédé à Dunkerque le 17 mars 1832.
Louis XVIII l'avait créé chevalier de Saint-Louis ; il portait aussi la croix
du Lys.
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