FORT MARDYCK CONCESSION ROYALE "La fin du privilège"


Rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur la proposition de loi (n° 413) de M. Denvers tendant à supprimer le privilège des matelots et Pêcheurs de la commune de Fort-Mardyck, par M. Carous, député.(2éme session ordinaire de 1961-1962.Séance du 21 juin 1962)
Mesdames, messieurs, le privilège des matelots et pêcheurs de la commune de Fort-Mardyck, dans le département du Nord, est une survivance de notre ancien droit, et le problème de sa suppression ne se serait sans doute pas posé s’il avait présenté la seule particularité d’être une curiosité  historique   
 En fait, ce privilège figure au même titre que « le droit de bandite » dans les Alpes-Maritimes ou les < parts de marais » dans le Pas-de-Calais, parmi les vestiges des régimes fonciers antérieurs à la Révolution. Malgré leur pittoresque juridique, ces droits ont pour effet commun d’aboutir à un démembrement de la propriété. Ils font aujourd’hui obstacle au développement économique des régions considérées, sans procurer à leurs bénéficiaires tous les avantages que ceux-ci pouvaient jadis en attendre. 
Origine du privilège.  
-Institué il y a près de trois siècles, en vue de favoriser le recrutement des marins à proximité de Dunkerque, ce privilège consistait à l’origine (1670) en une concession de terrains faite verbalement par Louis XIV aux inscrits maritimes.                                                                  
 Leur droit de jouissance sur ces terrains fut confirmé aux matelots pêcheurs de Fort-Mardyck par des arrêtés du conseil du roi (1769/1773). En même temps, aux termes de ces arrêtés, la propriété des terrains était transférée au comte de la Morlière.                          
La Révolution n’abrogea pas ces dispositions qui gardèrent force de loi. Mais les biens du comte de la Morlière étant tombés en déshérence, l’Etat devint propriétaire des terrains, tandis que les inscrits maritimes conservaient leur droit de jouissance.
Ainsi s’est perpétué jusqu’à nos jours, sur le sol de la commune de Fort-Mardyck, un partage des droits réels conforme à la distinction du « domaine éminent » et du « domaine utile », mais désormais anachronique et exorbitant du droit commun.
Un privilège qui devient une sanction.
Ce partage des droits, ainsi que le système de gestion de biens confiés à une commission syndicale soumise à la tutelle du préfet du Nord, ne présentaient pas d’inconvénients majeurs jusqu’à la fin du XIX siècle.
Cependant l’essor industriel et commercial de la région du Nord, devait modifier profondément la situation initiale, en considération de laquelle, deux siècles auparavant, le privilège avait été créé. De toute évidence, la nécessité du recrutement maritime cédait le pas à celle du développement économique. C’est ainsi que peu à peu ce privilège devint paradoxalement une sanction. D’une part, en réservant l’usage du sol à une seule catégorie professionnelle, le régime de la concession frappe Fort-Mardyck de stérilité économique, car les industries et les commerces s’implantent sur les communes limitrophes. D’autre part, bien qu’actuellement 70% des concessionnaires ne soient pas des inscrits maritimes, les inconvénients de ce régime n’en sont pas pour autant atténués.
En effet, les bénéficiaires eux-mêmes sont en quelque sorte pénalisés par le fait qu’ils ne sont pas propriétaires du sol qu’ils occupent.
Sur les terrains concédés, non seulement aucune mutation immobilière n’est possible, mais encore, comme le met en évidence l’exposé des motifs de la proposition de loi, la construction elle-même est complètement paralysée.
Suppression du privilège.
Réclamée aujourd’hui à la quasi-unanimité par les habitants de Fort-Mardyck, la suppression du privilège doit donc avoir pour premier effet de soumettre au droit commun le régime foncier de cette commune.
Toutefois, cette suppression ne peut méconnaître un certain nombre de situations acquises sous l’empire du régime foncier qu’il s’agit de faire disparaître.
C’est pourquoi le texte qui vous est aujourd’hui soumis par votre commission répond à cette double exigence et contient, en conséquence, deux séries de dispositions :
— tout d’abord, le transfert de la pleine propriété des terrains à la commune de Fort-Mardyck et la suppression corrélative du droit de jouissance dont bénéficient les matelots et pêcheurs, opèrent un retour au droit commun ;
— d’autre part, en confirmant les propriétaires des constructions dans leurs droits sur celles-ci et en organisant à leur profit et à celui des titulaires actuels du droit de jouissance, le rachat des terrains, la proposition de loi tient compte des intérêts particuliers en présence.
Fidèle à cette orientation, votre commission a respecté l’économie générale de la proposition de loi tout en retenant un certain nombre de modifications de détail dans la rédaction des articles.
1962- La concession des matelots-pêcheurs du village de Fort-Mardyck est abolie.
Les habitants sont devenus propriétaires de leur terrain à des prix fixés par la mairie.
Proposition de loi
Art. 1. — La pleine propriété des terrains visés par les arrêts du Conseil du Roi des 6 avrils 1773 et des 3 septembres 1785 est transférée à la commune de Fort-Mardyck ; celle-ci versera à l’Etat, à titre d’indemnité, une somme de 10 NF.
Sous réserve des dispositions transitoires ci-après, le droit de jouissance reconnu sur ces terrains par les arrêts visés ci-dessus aux matelots et pêcheurs de la commune de Fort-Mardyck est supprimé.
Art. 2. — Par dérogation aux dispositions de l’article 555 du code civil, les propriétaires de constructions édifiées sur ces terrains à la date de la promulgation de la présente loi conservant la propriété des dites construcions.    
Art. 3. — Les bénéficiaires actuels du droit de jouissance visé à l’article premier ne peuvent désormais édifier aucune construction.
Ceux d’entre eux qui, à l’expiration d’un délai de trois ans à compter de la promulgation de la présente loi, n’auront pas acquis la pleine propriété de leurs terrains dans les conditions prévues à l’article 4, seront considérés comme locataires de la commune de Fort-Mardyck, à laquelle ils devront verser, à ce titre, un loyer fixé à un taux uniforme par délibération du conseil municipal approuvée par le préfet.
Art. 4. — La commune de Fort-Mardyck est tenu de céder, sur leur demande, dans un délai de trois ans, à compter de la promulgation de la présente loi, la propriété du sol occupé par eux :
1 » Aux propriétaires de constructions ;
2° Aux bénéficiaires actuels du droit de jouissance.
Cette cession fait acquérir à ses bénéficiaires pleine et entière propriété du sol et, éventuellement, des constructions.
A défaut d’accord amiable, le montant du prix de cette cession est fixé dans les conditions prévues aux articles 10 et suivants de l’ordonnance ri° 58-997 du 23 octobre 1958 sur l’expropriation pour cause d’utilité publique.    
Sont exclus des dispositions du présent article les terrains réservés par le plan d’aménagement pour la voirie ou la construction d’ouvrages publics.    
 Art. 6. — Les personnes visées aux articles 2 et 3 qui n’auront pas acquis la pleine propriété de leurs terrains dans le délai prévu à l’article 4, ou qui auront fait connaître, avant l’expiration de ce délai, leur volonté de ne pas procéder à cette acquisition, recevront une indemnité qui, à défaut d’accord amiable, sera fixé dans les conditions prévues aux articles 10 et suivants de l’ordonnance n » 58-997 du 23 octobre 1958 sur l’expropriation pour cause d’utilité publique.
Art. 6. — La propriété des terres actuellement louées ou affermées est transférée au bureau d’aide sociale de Fort-Mardyck, au titre de dotation.
Art. 7. — Tous les actes établis en vertu de la présente loi seront visés pour timbre et enregistrés gratis. II ne sera perçu aucun droit pour leur publication au bureau des hypothèques.


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