LES CRIS DE LA RUE A DUNKERQUE : Le Rémouleur.
"Scheere slip"
C'est le repasseur de ciseaux et couteaux. Lentement, d'un ton monotone, il envoie son cri vers le ciel.
Un long point d'orgue semble retenir sa voix, sur le mot scheere et, brusquement, la phrase se ferme au mot slip comme d'une parenthèse Sehèê ère slip! Il pousse devant lui une petite voiture, atelier roulant où, à l'aide de deux pédales, il fait tourner sa meule. Sur les ridelles sont représentés, en une peinture naïve, un rasoir et un couteau, emblèmes de sa profession, le tout encadré du nom du propriétaire.
Scheere slip !... Le chapeau de feutre mou enfoncé jusqu'aux oreilles, la pipe échouée au coin de la bouche, le rémouleur semble un personnage échappé d'une toile de Téniers ou de Van Ostade. Peut-être un de ses ancêtres a-t-il affilé ce terrible coutiel à pointe qui valut à nos pères les rigueurs des seigneurs de Cassel et des Communs Koeures.
Et, tout en le suivant, on se plait à évoquer la ville d'autrefois, à l'époque flamingante des Krooneslraele, des Jookevelstraetje, des Oudehaeneslraedje, rues étroites et tortueuses, si pittoresques avec leurs maisons aux étages surplombants et aux pas de moineaux.
D'une porte basse, comme écrasée sous une large poutre sculptée, et au-dessus de laquelle le vent fait balancer une enseigne aux découpures bizarres, on se figure voir sortir une bazenne, qui vient faire affûter ses mes et ses tréchoirs. Le rémouleur s'arrête, s'installe, et autour de lui se groupent les enfants, joyeux de voir la meule faire jaillir des fusées d'étincelles.
d’après Gabriel Le Bail
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