Albert BARBARY La bravoure d'un élu Petit-Synthois

 

La Bravoure d’un élu Petite-Synthois durant l’occupation.

Albert BARBARY maire de 1944 à 1945.

En mai 1944 L'évacuation de certains membres des municipalités de la région obligea à réorganiser quelques-unes d'entre elles. Le maire de Petite-Synthe M. Chabot, ayant replié son industrie à Roubaix, M. Albert Barbary fut désigné pour lui succéder.

Peu de temps  après l'adjoint au maire de Petite-Synthe, M. Achille  Pérès,  est arrêté et envoyé à Buckenwald!

Les  civils ayant refusés l’évacuation en début d’année posaient aux Allemands de multiples problèmes.

Non seulement ils étaient peu sûrs, mais il fallait les protéger, si peu que ce fût et surtout les ravitailler.

Le nouveau maire de Petite-Synthe, M. Barbary s'y employait. Il faisait distribuer aux habitants, sous sa surveillance, la viande des chevaux blessés et abattus.

Pour éviter que les Allemands ne s'en emparent, il fit remettre à la population, d'accord avec le directeur du ravitaillement, les stocks de sécurité répartis chez les commerçants en alimentation. Il obtint de ceux-ci des prêts grâce à l'argent provenant de ces ventes. Ils lui permirent de remplir la caisse communale, qui était complètement vide, et se trouvait séparée de la Recette des Finances.

 Début octobre, grâce à une démarche de la CRF (croix rouge française) les allemands et les troupes alliés acceptèrent une trêve de 2 jours, la plupart des civils demeurés dans la  poche  acceptèrent alors de partir et l'on assista à l'exode de plus de 18.000 personnes, parmi lesquelles beaucoup de femmes, de vieillards et d'enfants, qui sortirent de Dunkerque par la porte de Calais.

Le nouveau maire de Petite-Synthe, M. Barbary, savait toutefois que quelques-uns de ses concitoyens avaient décidé de demeurer chez eux, envers et contre tout. Parmi ceux-ci se trouvaient, sans doute, quelques personnes qui ne tenaient guère à rendre des comptes aux Alliés ou aux Français Libres. Mais il en était également de beaucoup plus intéressants, qui voulaient sauvegarder leurs demeures et leurs mobiliers, et qui, avec obstination, n'entendaient nullement faire le jeu des Allemands les exhortant à partir. Ils espéraient que la ville capitulerait aussi rapidement que Calais. M. Barbary savait qu'il y avait des « réfractaires » de ce genre dans sa commune. Il décida de demeurer parmi eux, pour les protéger.

M. Barbary s'en alla donc, avec ses réfugiés, jusqu'à Pitgam, y installa sa mairie et notamment son adjoint, M. Hecquet, qui reçut à ce titre une délégation spéciale, puis il demanda à rentrer. Les officiers britanniques ayant barré le chemin qu'il avait parcouru une première fois, il s'en alla  vers Spycker, à travers champs, et parvint, après mille péripéties dramatiques, à rejoindre sa commune en dépit de la fin de la trêve.

A Petite-Synthe, par exemple, dès le soir de l'évacuation, des équipes de soldats allemands forcèrent les portes des maisons et s'y livrèrent au pillage en jetant par terre les tiroirs des meubles qu'ils ouvraient. Tout ce que contenaient les demeures des commerçants fut enlevé et dirigé vers Dunkerque. Les farines des boulangers furent enlevées de même que les stocks de vivres de la mairie, en dépit des protestations du pauvre Barbary.  Ce pillage avait lieu l'arme à la main, au milieu des coups de feu.  

L’amiral  Frisius commandant en chef du camp retranché de Dunkerque, dans une proclamation en un style qui n'appartenait qu'à lui, stipula, dès novembre, qu'en échange des ravitaillements  les Français travailleraient pour la Wehrmacht.

Il fit réunir la population de Petite-Synthe dans la cour de la brasserie Déjumé à Saint-Pol-sur-Mer pour lui indiquer que tous les hommes valides seraient employés à l'arrachage de betteraves.

M. Barbary protesta contre cette exigence, en faveur surtout de ses concitoyens âgés de plus de cinquante ans. Il obtint qu'ils passent une visite chez un médecin allemand qu'il connaissait.

Celui-ci les exempta presque tous de la corvée. L'amiral exigeait que les femmes travaillent également à des lessives ou à l'hôpital.

Le 11 novembre 1944, jour anniversaire de la victoire de 1918, M. Barbary, accompagné par une délégation de ses concitoyens, s'en alla fleurir le monument aux morts du cimetière de sa commune, malgré un intense bombardement anglais.

La Wehrmacht n'en poursuivit pas moins, durant le mois de décembre, un programme de destruction et d'incendies que beaucoup imputaient à la volonté de tromper les Alliés sur les résultats de leurs bombardements et les points de chute de leurs obus.

C'est ainsi que, le 6 décembre, les Allemands brûlèrent à Petite-Synthe tous les baraquements de l'impasse Ardaens et firent sauter les maisons de MM. Hebinck, Priester et Marcel Barbary.

 Suite à d’actes hostiles « L'amiral Frisius  se voyait contraint « quoiqu'en regrettant vivement » à faire établir des camps d'internement dans le terrain de la forteresse « où la population civile serait logée et nourrie ».

Le 14 février, la Feldgendarmerie avertissait que la mesuré serait exécutée immédiatement   à Petite-Synthe avec comme responsable M. Barbary. Le camp de ses administrés avait été établi rue Ferrer à Saint-Pol.

Chacun des nouveaux prisonniers gagna donc le cantonnement qui lui été ainsi réservé. A l'entrée du camp, les arrivants étaient fouillés et leurs paquets ouverts. Les Allemands de tout ce qui était susceptible d'être mangé.

D'autres camps furent établis  tous les habitants demeurés dans la poche étaient dorénavant des prisonniers. Le soir, après que chacun d'eux eut reçu, selon ses charges de famille, une ou deux pièces, ils se retrouvèrent derrière les barbelés « le cœur serré et les yeux pleins de larmes ».

Ils n'étaient pourtant pas au bout de leurs misères! L'organisation

Les camps devait leur réserver encore plus d'une surprise désagréable!

Celui de Petite-Synthe fut relativement favorisé. M. Barbary, devenu chef de camp, avait une assez grande liberté d'action.

Comme il était le seul maire demeuré dans la poche, il reçut l'autorisation, le 23 février, de se rendre à Coudekerque où se trouvaient un certain nombre de réfugiés de Cappelle-la-Grande.

Une autre fois, il alla voir les malades de sa commune chez les Petites Sœurs des Pauvres à Rosendaël. Il avait à sa disposition, 5, rue Ferrer, à l'intérieur du camp de Saint-Pol-sur-Mer, un logement assez confortable. Les cultivateurs qui se trouvaient avec lui entretenaient leurs propres jardins.

Ils y conservaient un assez grand nombre d'animaux de basse-cour, et même des chevaux et des vaches. Ils faisaient profiter tous leurs concitoyens de leur ravitaillement. Il en fut de même à Coudekerque-Branche. L'abbé Delaroqua, en particulier, fut logé 36, rue Marceau, dans un immeuble assez important où il installa une modeste chapelle. Il y organisa même un cours de catéchisme pour les neuf enfants internés dans le camp et qui s'en souviendront toujours.

MM. Barbary, et ses administrés ne jouirent que trois fois d'un repos relatif. Le 23 mars, ce fut à l'occasion de la venue d'un membre de la Croix-Rouge internationale. Il visita les différents camps et y releva les noms de 835 personnes. Il leur proposa de profiter d'une trêve pour quitter la région. La plupart des personnes interrogées répondirent qu'elles désiraient rester sur place, pour sauvegarder leur patrimoine familial. Leurs chefs, toutefois, profitèrent de cette occasion pour protester devant les Allemands contre l'internement qu'ils subissaient et qui leur semblait contraire au droit des gens. Après le départ du délégué, l'on entendit grommeler dans la foule qu'au lieu de belles paroles, il aurait mieux fait de distribuer quelques douzaines de boîtes de lait condensé.

Cette visite-intermède valut, deux jours après, tout d'abord une trêve de cinq heures pour permettre le départ de quelques vieillards et un envoi de colis aux prisonniers militaires, et ensuite, le 1er avril, une énergique protestation du commandant de la forteresse. Celui-ci se déclarait stupéfait que « des plaintes inutiles » eussent pu être présentées au délégué international, en présence de son état-major, à propos des internements de civils ! Il fit même paraître un « appel à la population française de Dunkerque » — un de plus — soutenant que ses adversaires avaient refusé tout secours pour les civils demeurés sur place et qualifiant ses soldats de « généreux et nobles défenseurs de la civilisation ».

L'artillerie cessa alors de tonner. Les quelques obstinés demeurés autour de Barbary   n'en croyaient pas leurs oreilles.

Ils s'interrogeaient pour savoir si vraiment ils étaient enfin parvenus au bout de leurs misères!  

En quelques instants, des drapeaux français, anglais, belges et américains, improvisés, apparurent aux fenêtres. On entonnait la Marseillaise et l'Hymne à Jean-Bart! Dorénavant les Allemands n'assurèrent plus aucun service hormis la garde : ils passèrent leur temps à boire des liqueurs et à manger! »

Le jour officiel de la Libération devait être le 9 mai. A 4 heures, les clairons allemands sonnèrent le « cessez-le-feu ». A Petite-Synthe, Albert Barbary parcourut le camp en annonçant la nouvelle. Le capitaine allemand déclara de suite que les habitants étaient libres. Il se produisit, a noté le maire, une « volée de moineaux pour aller revoir les maisons évacuées depuis le 14 février! » Tout, hélas! y était saccagé.

Chacun s'employa à les réparer pour pouvoir y rentrer dans les jours suivants. Ces pauvres gens réalisaient, enfin, leur rêve. Ils avaient, depuis des mois et des mois, enduré d'innombrables privations, la perte de leur liberté, et de dangereux bombardements mais ils avaient sauvegardé leurs biens! Ils les retrouvaient malgré tout avec joie.

C'était une illusion!

Les choses ne se passèrent pas facilement à Petite-Synthe.

Presque aucun de ceux qui y étaient demeurés n'avait à se reprocher quoi que ce soit au point de vue patriotique. Ces jardiniers et fermiers s'étaient laissé enfermer pour sauvegarder leurs bêtes et leurs avoirs.

Leur maire était revenu, volontairement, prendre sa place parmi eux.

Lorsque, le 10, on leur fit part qu'ils devaient évacuer la ville en n'emportant chacun que trente kilogrammes de bagages, ils décidèrent unanimement de ne pas l'accepter.

Le 11, un officier anglais s'en vint avec sept camions pour les emmener. M. Barbary lui fit part de cette détermination « qu'il comprit difficilement, nota le maire, car il ne connaissait pas notre langue et moi je ne parlais pas anglais ». Il partit à Malo chercher un officier français.

« Vers 10 heures du soir, continue M. Barbary, je vis arriver près du camp M. Marant, sous-préfet, un capitaine français et d'autres personnalités. Je donnai l'ordre aux civils de rentrer dans le camp et reçus M. le Sous-préfet que je connaissais très bien. Il me dit qu'il était étonné de notre refus d'obéir à l'ordre des alliés. Je demandai les motifs de cette évacuation en lui disant que nos habitations étaient réparées et prêtes à nous recevoir et que nous demandions simplement de rentrer chez nous et à nous remettre au travail. Il me déclara qu'il n'avait pas de réponse à me donner ! Le capitaine français voulut m'arrêter. La population s'y opposa et me fit rentrer de force au camp.» Devant une attitude aussi résolue, M. Marant et les autorités durent repartir.

Le lendemain, vers 10 heures, le colonel Lehagre, qui commandait les troupes françaises, vint à son tour voir M. Barbary. Il tenta d'expliquer que l'évacuation avait été ordonnée parce qu'un grand nombre d'évacués jalousaient ceux qui étaient demeurés sur place.

Il lui demanda d'amener ses concitoyens à respecter la décision des autorités anglaises. Le colonel insista, en disant que ceux qui demeureraient dans la poche ne seraient plus ravitaillés. Cette menace laissa le maire parfaitement indifférent. « Il nous prenait, nota Barbary, pour des « meurt-la-faim » et il fut parfaitement stupéfait lorsqu'il apprit que ces bons résistants d'un nouveau genre avaient caché jusque-là « 650 lapins, 375 poules, des canards, oies, chèvres et même des vaches et six chevaux. »  

Après lui avoir exposé cette situation, le maire demanda s'il serait possible en cas d'évacuation, d'atteler les chevaux et d'emporter les bêtes, en plus des fameux 30 kilogrammes. Le colonel promit d'en référer aux autorités anglaises. Il ajouta que l'évacuation serait de courte durée et que, pendant celle-ci, tous les avoirs seraient protégés, le camp devant être gardé par la police française.

Le 13 mai , à 11 heures, un motocycliste apporta un pli officiel. Le départ devait avoir lieu à 15 heures. Chacun ne pouvait finalement emporter que 30 kilogrammes! A 16 heures, les camions militaires arrivèrent.

Un garde mobile armé se trouvait à côté de chaque chauffeur. Un autre, à l'intérieur, surveillait les évacués.

A l'arrivée à Hazebrouck, la réception fut « très froide ». La police voulait inculper dix civils de rébellion. M. Barbary prit la pleine responsabilisé de ce qui s'était passé;

il écrivit dans ses notes : « Les inspecteurs se sont montrés « sauvages et barbares envers certains civils  JJ. Devischère, Sonnoye, Marquise et moi-même avons été victimes de violences et voies de fait inoubliables! »

Finalement, et puisqu'il prenait la responsabilité de s'être opposé à l'évacuation, M. Barbary fut seul arrêté. On le transporta à Lille, au 2e bureau militaire, qui le relâcha immédiatement.

Ce fut seulement le 31 mai que le maire obtint l'autorisation de rentrer dans sa commune. Il passa d'abord chez son frère, où il ne trouva que « ruine et désolation JJ. Lorsqu'il revint au camp où il avait laissé ses affaires, il eut « une cruelle déception ». Tout « était retourné et une grande partie du ravitaillement avait été pillée » !

Il fit part, a-t-il écrit, à la police de cet état de choses. Il porta plainte contre inconnu. Il n'obtint, bien sûr, jamais la moindre réponse!

La police, qui brutalisa sans raison cet homme courageux, n'avait pas su tenir sa promesse de sauvegarder ses biens! Peut-être était-il nécessaire qu'il en fût ainsi.

Son obstination à demeurer sur place, pour protéger ses concitoyens et y maintenir une autorité française, prenait la valeur d'un symbole puisqu'il n'en avait retiré aucun profit! C'est donc avec raison que les habitants de Petite-Synthe le réélurent maire par la suite. Il mourut, en remplissant cette charge, entouré de regrets universels.


La ville de Petite-Synthe lui a dédié au village une place et une impasse à l’époque de la reconstruction. 

Transmis par Michel Bourdon  


 

(POUR VOIR LES SOURCES UTILISEES PAR DUNKERQUE ET SA REGION "dans l'ancien temps")

 

Commentaires

MICHEL BOURDON a dit…
Bonjour
Ce n'est pas tous les jours que je trouve une partie de l'histoire de mon grand père .

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