Dunkerque est devenue Française "la négociation"
Les
embarras financiers de Charles II ne faisaient que s'accentuer. Les
dépenses faites pour l'armée navale, la Jamaïque et Dunkerque,
l'entretien de la maison royale absorbaient plus que les revenus
ordinaires et extraordinaires de la Couronne.
Le gouvernement
Britannique s'était de plus embarqué dans une affaire qui paraissait
sans issue : Charles II avait voulu soutenir le Portugal dans sa lutte
contre l'Espagne. Il s'était engagé par un traité à lui fournir des
troupes. C'était en vain qu'il avait essayé d'entraîner Louis XIV dans
une action combinée : Le Roi de France lié par le Traité des Pyrénées ne
pouvait que le soutenir en secret. Il lui avait envoyé des subsides
importants mais cependant insuffisants.
Au début de 1662, la caisse était vide, et l'arriéré était considérable. Il fallait trouver une solution rapide.
La vente de Dunkerque parut à certains l'expédient le plus facile à réaliser.
Quand
Louis XIV fit verser au roi d'Angleterre un subside pour le Portugal,
le bruit courut que cette somme était destinée à racheter Dunkerque...
Le
Chancelier d'Angleterre, Hyde de Clarendon, finit par engager son Roi à
se défaire de cette ville qui coûtait plus d'un million par an. C'était
le seul moyen de rétablir momentanément l'équilibre de ses finances.
Trois puissances pouvaient désirer posséder de Dunkerque : la France, l'Espagne et les Etats de Hollande.
Clarendon
nous expose les arguments qui furent alors présentés et discutés pour
savoir à laquelle on s'adresserait : Le Roi d'Angleterre était sûr
d'être payé promptement par le gouvernement français. En Espagne, au
contraire, l'argent était rare, et il aurait été impossible de
recueillir la somme nécessaire. De ce côté les pourparlers auraient été
tellement longs, que Charles II aurait vraisemblablement perdu en grande
partie les avantages qu'il comptait retirer de cette vente. D'ailleurs
la cession de Dunkerque à l'Espagne n'aurait pas servi à consolider une
alliance avec ce pays qui considérait toujours cette ville comme son
bien propre et de plus réclamait la restitution de Tanger et de la
Jamaïque.
Les Etats des Provinces Unies, auraient peut-être voulu
être maîtres de Dunkerque qui faisait beaucoup de tort à leur commerce.
Mais on estima que malgré leur désir de s'en emparer, ils auraient
peut-être reculé devant la crainte d'être désapprouvés par la France et
par l'Espagne, qui seraient peut-être entrées en guerre pour ce
prétexte.
Dernière objection : La Chambre des Communes avait envoyé à
la chambre des pairs un bill pour annexer Dunkerque à la Couronne
Britannique d'une manière inaliénable. « Mais, dit Clarendon, la chose
ne parut pas avoir d'importance. »
En
fin de compte Charles II décida de s'adresser à Louis XIV, et de lui
proposer l'acquisition de Dunkerque. Le besoin d'argent l'emportait sur
toute autre considération .
La vente décidée, il fallait se mettre
en rapport avec l'acquéreur possible. « On trouva, dit Clarendon, moyen
de faire avertir en secret le Roi de France de la résolution de Sa
Majesté, afin qu'il pût s'en concerter avec elle, s'il le désirait. »
Le
Comte d'Estrades, qui avait été gouverneur de Dunkerque et connaissait
parfaitement la valeur de la place, qui d'autre part s'était créé de
sérieuses relations en Angleterre, au cours de son Ambassade, était tout
désigné pour servir d'intermédiaire. Ce fut à lui que s'adressa
Clarendon.
Godefroi d'Estrades avait été désigné comme Ambassadeur extraordinaire en Hollande.
Le 7 juin 1662 le Mémoire lui donnant ses instructions, était rédigé. Il devait sans délai rejoindre son poste.
Mais un accident le retint à Paris.
Il
est encore incapable de quitter la chambre, quand se présente un
visiteur chargé d'une mission importante. Le Chancelier d'Angleterre lui
envoie « une personne de confiance, pour parler au Roi d'une affaire
qui ne déplaira pas à Sa Majesté... » C'est Richard Belings qui vient
tout simplement proposer la cession de Dunkerque.
Louis XIV se
décide aussitôt : d'Estrades passera par Londres, pour se rendre à La
Haye : Le Roi ne lui donne que des instructions verbales.
Il lui
indique jusqu'à quelle somme, il pourra monter, pour conclure ce marché.
Comme il ne doute pas que l'affaire ne soit rapidement terminée il lui
fait délivrer le 26 juillet un Pouvoir pour traiter.
Tout doit être
fait dans le plus grand secret. Louis XIV est censé ignorer les
propositions qui lui ont été faites. Ce détour sur Londres doit paraître
fortuit. On imagine le stratagème suivant : Une lettre du roi
d'Angleterre parviendra à d'Estrades, au moment où il se disposera à
s'embarquer à Calais pour la Hollande
Le programme se réalisa.
Malgré
son désir de régler quelques affaires personnelles, d'Estrades promit à
Colbert qui le pressait, de quitter Paris le 28 Juillet.
Le 4 août
il était à Calais, prêt à prendre la mer. Un billet de Clarendon
l'avertit de la prochaine arrivée d'une lettre de Charles II. Dès sa
réception il partit sans avoir attendu l'autorisation de Louis XIV.
La
traversée du détroit fut mauvaise. Arrivé le 12 août à Londres il avait
retrouvé son secrétaire Batailler, et bientôt Belings était venu lui
rendre visite.
Belings avait rapporté de son voyage en France une
excellente impression et en avait fait part à son souverain. L'affaire
paraissait bien engagée. Contrairement aux usages établis, le chancelier
se présenta chez d'Estrades, mais devant son état de fatigue il remit
au 14 août la première conversation.
Coup sur coup, d'Estrades a
trois conférences avec Charles II et son chancelier : Ils demandent
douze millions de livres pour la Cession de Dunkerque, alors que le
représentant de Louis XIV n'est autorisé à traiter qu'à un prix beaucoup
moins élevé. Cromwell n'a-t’il pas, il y a dix ans à peine estimé la
valeur de la place à 500.000 livres ?
D'Estrades dans ces conditions
feint de vouloir rompre immédiatement les pourparlers. Cependant il a
bien l'impression que les Anglais veulent absolument se défaire de
Dunkerque, aussi continue-t’il les conversations : On marchande, chacun
faisant valoir ses arguments.
Louis XIV attendait des nouvelles de
son envoyé, avec une impatience bien compréhensible. Il s'imaginait que
le traité serait conclu très rapidement à tel point qu'il lui adressait
peu de jours après son arrivée à Londres un mémoire relatif à son
Ambassade en Hollande, espérant qu'il lui parviendrait peut-être encore
avant son départ pour La Haye.
Mais les négociations devaient traîner en longueur.
Charles
II et Clarendon avaient mis au courant de ce que s'était passé dans
leurs entrevues avec d'Estrades, le duc d'York, Monk, le grand
chancelier et le Comte de Sandwich, qui s'étaient montrés très étonnés
du bas prix offert par Louis XIV.
Clarendon revint à la charge,
croyant que la France ne voulait pas de Dunkerque, ou qu'elle ne
comprenait pas l'importance de cette ville puisqu'elle en sous estimait
ainsi la valeur.
En dernier lieu il en demanda sept millions.
D'Estrades reçut l'ordre de se retirer, si le Roi d'Angleterre
maintenait une telle prétention, et il offrit deux millions et demi.
Charles II demanda alors cinq millions, ce fut son dernier mot.
Dans
l'intervalle, Louis XIV avait donné à d'Estrades l'autorisation de
monter jusqu'à quatre millions. Ne pouvant pas s'avancer davantage,
l'Ambassadeur français crut cette fois qu'il n'avait plus qu'un parti à
prendre, celui de se retirer. Il demanda au Gouvernement Anglais un
vaisseau pour continuer son voyage en Hollande.
Mais un conseil le
retint pour quelques jours à Londres : Puisque le Gouvernement Anglais
estimait à un million la valeur de l'artillerie qui garnissait
Dunkerque, eu l'abandonnant au roi d'Angleterre, ce dernier pourrait
peut-être consentir à céder la place pour quatre millions ?
Mais,
dans les circonstances présentes, un million en argent valait plus pour
Charles. II « que vingt fois le canon de Dunkerque. »
La combinaison ne réussit pas. D'Estrades n'avait donc plus qu'à s'embarquer...
Alors,
Louis XIV l'autorisa enfin à s'engager pour cinq millions « à la
dernière extrémité pour ne pas rompre une si grande affaire ».
D'Estrades ne pouvant pas faire autrement accepta de traiter pour les
cinq millions demandés.
Il pouvait se croire au bout de ses peines.
Mais il n'en était pas ainsi. Louis XIV ne pouvait verser que deux
millions comptant. Il s'engageait à payer le reste par annuités.
Le
Roi d'Angleterre voulait toucher immédiatement la totalité de la somme.
Cette fois encore les négociations faillirent se rompre : « Ce qui les
oblige à vendre Dunkerque est la nécessité, avait écrit d'Estrades à
Turenne le 18 Septembre — et tout ce qui n'est pas argent comptant ne
les accommode pas. » Devant l'impossibilité de réunir une telle somme,
d'Estrades trouve cette fois encore qu'il ne lui reste plus qu'à
s'embarquer.
Mais la solution vient de Charles II. Il accepte les
deux millions comptants. Pour le reste il demanda au roi de France de
lui désigner à Londres une caution solvable, pour lui permettre de le
réaliser immédiatement. La difficulté pour Louis XIV est de la trouver.
Mais
Colbert est là. Avec quelle habilité il se tire de cette affaire qu'il
considère « comme la plus difficile à faire réussir qui ait jamais passé
par ses mains »!
Les Banquiers Simonnet refusent de lui prêter leur
concours. L'habile financier s'adresse alors à Hérinx — banquier de
Paris — qui consent à se charger de cette affaire, et s'en va en
Angleterre pour donner au Chancelier toutes les garanties que ce dernier
exigera.
Il arrive à Londres le 9 octobre. Le 12 il commence à
s'entendre avec le grand Trésorier et le Général Monk que Charles II a
nommés commissaires.
Avec l'aide de d'Estrades, il finit par tomber
d'accord avec eux. Il fournira les trois millions à la remise de
Dunkerque à condition que le roi d'Angleterre lui abandonne un escompte
de douze pour cent.
C'étaient MM. des Fermes Royales qui avaient fourni cet argent au Roi.
Dès
lors toutes les difficultés étaient aplanies. Le 27 octobre le Comte
d'Estrades pouvait écrire au Roi, qu'il avait signé le Traité, qu'il
envoyait aussitôt à Sa Majesté.
L'arrivée du Courrier le 30 au matin, tira Louis XIV de l'inquiétude où il se trouvait depuis trois jours.
Voir aussi:
- Évacuation de Dunkerque par les troupes anglaises
- Visite de LOUIS XIV a Dunkerque (1662)
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