HISTOIRE DE DUNKERQUE: LE PORT FRANCHISE.

DUNKERQUE PORT FRANCHISE. 
 
 Les origines de la franchise de Dunkerque sont mal connues, mais il ne semble pas qu'elle ait été une faveur octroyée par Louis XIV à ses nouveaux sujets. Si l'on en croit la tradition constante, adoptée au XVIIe et au XVIIIe siècle, celui-ci n'aurait fait que rétablir ou confirmer des privilèges qui remontaient an moyen âge.

Ce serait Philippe d'Alsace, comte de Flandre, qui aurait concédé la franchise en 1170.
Quoi qu'il en soit, c'est la Déclaration de novembre 1662 qui établit définitivement et fixa sans doute nettement, pour la première fois, la franchise du port:
« Voulons et nous plaît que tous marchands, négociants ou trafiquants, de quelque nation qu'ils soient, y puissent aborder en toute sûreté et décharger, vendre et débiter leurs marchandises franchement et quittement de tous droits d'entrée, foraine, domaniale, et de tous autres, de quelque nature et qualité qu'ils soient, sans aucun excepter, ni réserver ; comme aussi que lesdits marchands et négociants puissent acheter et tirer de la ville toutes les marchandises que bon leur semblera, les charger et transporter sur leurs vaisseaux, pareillement franchement et quittement de tous droits de sortie et autres quelconques. »
Colbert tenait à exciter les étrangers à s'établir à Dunkerque, en leur donnant toutes sortes de facilités pour obtenir le droit de naturalité, et pour jouir des mêmes avantages que les anciens habitants de la ville.
Plus tard, quand il eut organisé le recrutement des équipages de la marine royale, Colbert accorda une nouvelle faveur signalée aux Dunkerquois en dispensant leurs matelots du service des classes.
Par l'arrêté du conseil du 6 décembre 1681 les bureaux des fermes furent placés aux portes de la ville et Dunkerque, port franc, débouché d'une province réputée étrangère.
Cependant le port franc, tel qu'il resta constitué en 1681, était moins favorisé que ceux de Marseille et de Bayonne à un double point de vue. Les limites assignées à la franchise étaient beaucoup moins étendues : ce n était pas tout un territoire qu'elles comprenaient, ce n'était même pas exactement toute la ville : « Il faut observer, disait le rapporteur de la Constituante, que Dunkerque est divisée en deux parties relativement au commerce : la première est composée du port et de la haute ville ; la seconde est composée de la basse ville. La franchise n'a lieu que dans le port et dans la haute ville qui se tiennent immédiatement ». Un bureau des fermes était établi dans la basse ville.
Cependant un arrêt du conseil, du 31 juillet 1691, avait accordé « aux habitants de l'ouvrage couronné de Dunkerque, connu sous le nom de basse ville, les mêmes privilèges, franchises et exemptions, dont jouissaient les habitants de la haute ville ».
On peut encore remarquer que les Dunkerquois, exemptés des droits d'entrée et de sortie des traites, étaient loin d'échapper à toutes les impositions établies sur certaines marchandises.
Le roi s'était borné à leur accorder des abonnements. Pour payer ceux-ci, les Magistrats et la Chambre de Commerce percevaient des droits. Ainsi le dernier contrat de cette sorte, fait en 1782, réglait l'abonnement à payer pour les droits établis en 1757 et en 1771 sur l'amidon, les papiers, les cartons et les cuirs.
Dunkerque était en partie considérée comme ville nationale quand ses négociants voulaient faire entrer en Flandre ou dans le royaume « les denrées et marchandises provenant du crû, de la pêche, ou des fabriques de leur ville. La pêche avait été de tout temps importante dans le port flamand et souvent même l'aliment le plus considérable de sa navigation.
Il était capital pour sa prospérité que les morues, harengs, etc., rapportés par ses marins, pussent être vendus dans le royaume comme provenant de la pêche nationale.
L'un des principaux soins de la Chambre de commerce, instituée en 1700, et composée d'un président et de quatre conseillers, fut de délivrer des certificats propres à justifier l'origine de ces produits.
L'arrêt du Conseil du 13 octobre 1722 régla les formalités qui devaient être observées en pareil cas.
A la suite de contestations, des décisions de 1766 et de 1771 les précisèrent. Les certificats de la Chambre de commerce devaient être déposés et visés au bureau des fermes de la basse ville.
On peut rappeler encore une dernière difficulté que souleva la franchise de Dunkerque, à la suite de la conclusion du traité de commerce avec l'Angleterre, du 26 septembre 1786. Les Anglais demandaient que le traité ne fût pas applicable dans le port de Dunkerque, dont la franchise permettrait d'introduire en France des marchandises hollandaises ou autres, comme marchandises anglaises, ou de substituer des produits étrangers aux français pour l'exportation en Angleterre. Il fut de nouveau question de faire opter les Dunkerquois entre la franchise et le bénéfice du traité de 1786, mais le gouvernement sut encore trouver un biais.
Il fut entendu que certaines précautions permettraient de concilier l'application du traité avec la franchise. En vertu de l'arrêt du Conseil du 15 juin 1787, « toute marchandise anglaise a destination de Dunkerque devait être accompagnée d'un certificat d'origine ou d'un acquit à caution de la douane anglaise, qu'il fallait déposer au bureau de la Chambre de Commerce. Cette compagnie délivrait alors un certificat à remettre au bureau des traites établi en basse ville, hors de la franchise. Réciproquement les marchandises françaises à destination de l'Angleterre traversaient la ville avec un acquit-à-caution .
Jusqu'en 1789, les fermiers des droits du roi ne cessèrent de guetter les occasions de pratiquer leurs empiétements, tandis que le Magistrat, et plus tard la Chambre de Commerce, se signalaient par leur vigilance pour défendre leur ville contre leurs tentatives.
La population de Dunkerque s'étaitt fortement accrue, et des étrangers en grand nombre avaient profité des avantages donnés à ceux qui voulaient s'établir dans le port franc ; ils y tenaient, en 1789, des magasins considérables. On citait surtout alors l'exemple tout récent des Nantuckois, attirés à Dunkerque pour y pratiquer la pêche de la baleine.
Les facilités offertes par la franchise attiraient surtout dans le port de Dunkerque les pavillons étrangers, mais il faut remarquer que les armateurs français profitaient largement aussi de son activité. En 1775-1776, il reçut 563 et 546 navires français, contre 576 et 649 étrangers ; En 1789, le mouvement avait sensiblement augmenté, les entrées furent de 647 pour le pavillon français, de 862 pour les étrangers.
La franchise avait, en particulier, donné un grand essor aux armements dunkerquois ; vers 1774, 177 bâtiments, qui jaugeaient 16.840 tonneaux étaient attachés au port. En 1789, le commerce des colonies employait 35 à 40 navires, de 300 à 400 tonneaux. C'étaient les plus gros qui pussent entrer dans le port. Un pareil nombre de bâtiments, de 200 à 300 tonneaux faisaient le cabotage de la Méditerranée ; 50 à 60 étaient destinés au petit cabotage sur les côtes de l'Océan. Environ 180 bâtiments. étaient armés pour la pêche.
C'était à la franchise que les Dunkerquois attribuaient l'activité remarquable des armements en course, qui avaient illustré et enrichi leurs marins à la fin du XVIIe siècle, mais leur avaient attiré aussi la rancune implacable des Anglais et des Hollandais. Les services rendus par les corsaires, qui avaient retiré 110 millions de leurs prises, et en avaient fait perdre le double aux ennemis, la nécessité de maintenir la franchise pour favoriser les armements, furent l'un des arguments les plus employés en sa faveur pendant la Révolution.
Enfin on peut remarquer que la franchise n'avait pas attiré à Dunkerque de grandes ni de nombreuses industries.
On n'y voyait, en 1789, aucune grande manufacture. Cependant plusieurs de celles qui y existaient ne devaient leur existence qu'au port franc. Outre les fabriques de tabacs et de genièvre, on peut citer le raffinage des sels des salines de Bretagne, et celui des sucres des îles d'Amérique. Nul doute que, si la franchise avait eu le temps de produire ses effets, on eut vu se multiplier ces industries d'exportation.
Mais la Révolution supprima le port franc, au moment où il commençait seulement à donner ses fruits, et où il permettait les plus belles espérances.
La franchise de Dunkerque fut combattue sous la Constituante avec une âpreté particulière. C'est dans son voisinage immédiat que la ville flamande rencontra ses plus violents adversaires, excités contre elle autant par la jalousie que par les inconvénients qu'ils reprochaient au système des ports francs.
Deux députés du département du Nord, Francoville et Bouchette, se firent les porte-paroles des griefs des Calaisiens et des Lillois. A la séance du 31 octobre 1790, Francoville, représentant de Calais et Ardres, saisit l'occasion d'une discussion sur l'organisation des ponts et chaussées, pour demander une enquête sur les travaux entrepris à Dunkerque et pour déposer un mémoire des Calaisiens intitulé « Considérations sur la franchise des ports et en particulier sur celui de Dunkerque. »
Ce mémoire débutait par une affirmation singulière, peu faite pour lui donner de l'autorité: « C'est sans doute une question importante que celle des franchises. On les a multipliées dans ce royaume et le commerce a langui ; rejetées par l'Angleterre, son commerce s'est élevé au comble de la prospérité : ce n'est donc pas par des exemples qu'on peut les défendre. »
Les Calaisiens essayaient de prouver que les différents commerces de Dunkerque étaient dangereux pour la prospérité nationale ou qu’ils pouvaient être continués avec le régime de l'entrepôt.
« Ainsi donc, concluaient-ils, sauf des bénéfices de la fraude, de la contrebande, sauf l'agiotage des certificats de la Chambre du Commerce, les fausses destinations, Dunkerque ne perdra rien ou presque rien : ce qu'il perdra, la nation le gagnera au centuple par l'emploi de ses manufactures, par l'excédent de recette et, plus encore, par la direction utile pour l'Etat des capitaux et de l'activité des Dunkerquois. Les bras des fraudeurs seront rendus à l'agriculture et aux arts, l'industrie et les fonds des assureurs au commerce national : la corruption du fisc n'y sera plus nécessaire; elle n'y sera plus tarifée, on ne leur verra plus faire des fortunes aussi rapides que scandaleuses. »
C'était aussi l'accusation de fraude que soutint avec plus de violence encore le député Bouchette, qui appuya son collègue, en présentant une Réclamation contre la franchise de Dunkerque. Il y joignit des Observations de la chambre de commerce de Lille et une pétition de 119 négociants et fabricants lillois adressée à cette chambre, qui répétaient la même accusation. On peut assurer, disaient les Lillois, sans crainte d'être démenti, que la fraude est portée à Dunkerque à un point inconcevable et le prouver par des faits sans réplique. Il suffit d'une simple déclaration adressée à la chambre de commerce, dont les officiers, sans autre examen donnent un certificat qui assure que les marchandises chargées dans tel navire sont de fabrique nationale et, par ce moyen, on expédie pour l'Amérique et nos colonies des perses, des quincailleries anglaises, en un mot l'unique produit des manufactures étrangères. Au lieu de faire valoir les nôtres, les négociants de Dunkerque tirent d'Ostende, de Bruges et du Brabant, des toiles et guingas, dont ils peuvent avoir besoin, et les expédient
ensuite comme toiles de France, au grand préjudice de nos manufactures. »
Pourtant l'accusation portée contre la Chambre de commerce de Dunkerque était manifestement exagérée. Les Dunkerquois invoquaient avec raison, pour se disculper, les précautions établies pour leur commerce avec les colonies, par l'accord conclu avec les fermiers en 1735. Il était évident pourtant que la prime offerte à la fraude était trop grande pour qu elle ne trouvât pas moyen de s'exercer. Mais il s'agissait de savoir si, avec le régime douanier d'alors, la contrebande n'aurait pas été aussi active sans la franchise
Pour enlever à leurs adversaires leur argument le plus puissant, les Dunkerquois avaient proposé dans leurs mémoires à l'Assemblée de créer une enceinte franche, complètement séparée du reste du port réservé au commerce national. Les « lieux francs » seraient enclos à l'Ouest par un mur de quinze pieds de haut, à l'Est par les fortifications, les canaux et les barrières existants ; on mettrait à chacune des barrières des employés, en aussi grand nombre qu'il plairait à la régie, afin de surveiller avec exactitude l'entrée et la sortie des lieux francs. Les navires destinés au port franc ne pourraient s'arrêter dans le chenal, qui en serait séparé par une chaîne gardée par les employés de la régie. Le programme des travaux, en voie d'exécution depuis quelques années, permettrait de faire un nouveau bassin qui servirait au commerce national. Dans l'esprit des Dunkerquois, celui-ci ne devait évidemment avoir qu'un rôle secondaire, tandis que le plus grand nombre des navires continuerait à affluer dans le port franc.
Si les adversaires des franchises n'avaient eu en vue que la répression de la fraude, ils eussent accepté la proposition des Dunkerquois, mais ils s'y montrèrent très hostiles. « Qui peut ignorer, disait la Chambre de commerce de Lille, qu'aucune barrière, aucune gêne, aucune entrave, ne peuvent être opposées avec un succès complet aux ruses et aux détours familiers à la fraude? » Ils traitaient d'ailleurs le projet de chimère : « Messieurs les Dunkerquois savent bien que l'Etat ne fera pas pour eux une dépense de 30 millions au moins, à en juger de la façon dont on travaille dans leur port depuis six ans. »
On réclamait encore la suppression de la franchise au nom de l'égalité. Le député Bouchette avait commencé par déclarer : Le premier principe d'une société bien ordonnée, la base solide d'un gouvernement, c'est l'égalité... Est-ce que l'Assemblée nationale doit faire une exception en faveur des habitants de la ville de Dunkerque ? »
Au moment où la question était portée inopinément à la tribune, par les députés Francoville et Bouchette, elle avait été discutée déjà dans les réunions des députés extraordinaires du commerce, envoyés auprès de la Constituante, et dans celles du comité d'agriculture et de commerce de l'assemblée. Les Dunkerquois avaient mis autant d'activité à se défendre qu'on avait montré d'ardeur à les attaquer. Ils avaient rédigé de nombreux mémoires, et la députation permanente qu'ils entretenaient à Paris, pour suivre de près les événements, avait multiplié les démarches. Ils invoquaient en leur faveur la décision du Directoire du département du Nord, qui avait adopté leur plan d'enceinte franche, le 24 août 1790. Sur les 8 districts, un seul, celui de Lille, l'avait repoussé.
L'assemblée des députés extraordinaires du commerce, et le comité de commerce de l'assemblée, se prononcèrent pour le maintien de la franchise, en la limitant. C'est leur double avis que soutint le député Herwyn, secrétaire du comité, dans le rapport qu'il présenta à la Constituante, à la séance du 26 juillet 1791.
Le rapporteur du comité proposait donc un décret maintenant la franchise de Dunkerque, mais la restreignant à une enceinte fermée suivant le plan proposé par les Dunkerquois eux-mêmes. Le commerce avec les colonies, les armements pour la grande pêche ne pourraient être faits que dans le port national. Ce rapport ne fut pas discuté mais, peu après, l'article 1 du titre 1er de la loi du 22 août 1791, sur les douanes, maintint provisoirement la franchise de la haute ville et citadelle de Dunkerque.
Les concessions faites aux adversaires du port franc ne les désarmèrent pas. Le député de Nantes, Mosneron, dans le rapport qu'il rédigea, au nom des comités de marine et de commerce réunis, de la Législative, en juin 1792, attaquait la franchise de Dunkerque, avec une âpreté singulière.
La Convention devait donner enfin satisfaction à ces hostilités ardentes. ( Voir : LE CORPS DES BELANDRIERS DE DUNKERQUE)
Les Dunkerquois se signalèrent, par leurs vifs regrets de la perte de leur franchise, et par la persistance qu'ils mirent à en demander le rétablissement. Sous le Consulat, le retour aux institutions de l'ancien régime le leur fit espérer une première fois, tandis que la paix d'Amiens leur faisait désirer plus vivement d'être à même de profiter des circonstances devenues favorables. Des mémoires furent rédigés et des négociations entamées auprès du gouvernement. Mais la reprise de la guerre contre l'Angleterre ruina les espérances qu'on avait pu concevoir.
Il ne fut plus question du port franc jusqu'en 1814. Les Dunkerquois, repris d'espoir, n'hésitèrent pas alors à attribuer à la suppression de leur franchise la ruine de leur commerce, que tant d'autres causes cependant auraient suffi à expliquer.
Une ordonnance portant la date du 22 avril 1816, et rétablissant la franchise du port de Dunkerque, fut rédigée. Mais elle ne fut jamais présentée aux Chambres, et resta sans effet, malgré les multiples démarches tentées par la ville et par la Chambre de commerce, les années suivantes, pour obtenir une solution favorable.
Une dernière fois, en 1844, des négociations furent entamées auprès du gouvernement. Une brochure fut distribuée aux membres des deux Chambres. C'était le moment où le système des docks, expérimenté en Angleterre, était vivement préconisé en France.
Aussi le ministre du commerce crut satisfaire les Dunkerquois en leur faisant répondre, par le préfet du Nord, qu'il « encouragerait dans nos ports la création des docks francs. » L'abandon du régime protectionniste devait bientôt leur donner d'autres espérances.
Dunkerque est certainement la ville où les souvenirs du passé sont restés les plus vifs. 

"Pour connaitre les références: textes et auteurs repris sur ce blog."

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