HISTOIRE Dunkerque sous Louis XV de 1715 à 1774

 

Dunkerque sous Louis XV. (1715/1774) 


Sous le règne de Louis XV, la Ville de Dunkerque a eu ce singulier sort de souffrir davantage de la paix que de la guerre. A plusieurs reprises,  des traités seront conclus en grande partie à ses dépens. La fortune, qui lui avait si souvent prodigué ses faveurs, paraît, durant cette triste période, l'avoir complètement abandonnée.

Quelques années après la mort de Louis XIV, le Régent de France, Philippe d'Orléans, voulut associer l'Angleterre et la Hollande à la politique qu'il poursuivait contre le royaume d'Espagne. Dans ce but, il négocia avec ces deux puissances un traité d'union qui fut signé à La Haye le 4 janvier 1717. La France en payait les frais. L'article 4 stipulait, en effet, l'obligation de démolir la grande écluse de Mardyck et de réduire la petite à une longueur de cinq mètres. L'Angleterre exigea  en outre que tout ce qui pouvait encore rester des anciens ouvrages du port fût rasé totalement. Un commissaire anglais vint de nouveau résider à Dunkerque.


Philippe d'Orléans se conforma servilement aux exigences de ses nouveaux alliés. Le fatal article 4 du traité de janvier fut exécuté à la lettre. Il en résulta pour Dunkerque un préjudice énorme. Les matelots, les gens de mer, les ouvriers de marine s'en allèrent en pays étrangers. La ville touchait à sa ruine. La pêche du hareng elle-même, source de richesse pour la cité, devint sans importance. L'Empereur de Russie, Pierre-le-Grand, venant visiter la France à cette époque, débarqua à Dunkerque (25 avril 1717). Il dut être frappé par l'aspect désolant qu'offrait alors la Ville avec ses rues silencieuses et son port désert.

Une circonstance fortuite vint rendre un peu de courage aux malheureux Dunkerquois. Le 31 décembre 1720, une violente tempête rompit, sur une certaine largeur, le batardeau qui fermait l'entrée du port. On se mit aussitôt à l'oeuvre pour profiter de cet évènement. Malgré l'opposition des Anglais, le reste du batardeau fut enlevé. On répara l'écluse de Kesteloot, près du Parc de la Marine.

 Pour protéger le chenal contre l'envahissement des sables, on exécuta sur l'estran des petites levées avec des pierres brutes et des matériaux de démolition provenant du Risban et du fort Revers. Louis XV accorda, comme encouragement, un secours 40.000 livres et permit aux habitants de trafiquer, comme par le passé, avec les Colonies. En 1730, trois corvettes sont armées pour la pêche de la morue sur les côtes d'Islande. La saison suivante, on y expédie encore deux autres corvettes et deux dogres de 50 à 60 tonneaux. Cette pêche réussissait à merveille. Il en était de même du commerce avec les Colonies que pratiquaient déjà 30 bâtiments appartenant au port.

Entraîné dans la guerre de la succession d'Autriche (1741- 48), Louis XV essaya d'inquiéter la Grande-Bretagne en favorisant la restauration des Stuarts en la personne de Charles Edouard, petit-fils de Jacques II. Dix mille vieux soldats s'embarquèrent à Dunkerque avec un matériel complet (1744). Le prétendant les accompagnait. Contrariée par les vents, l'expédition échoua. A l'intérieur, la Flandre devint le théâtre des hostilités. Dès l'année 1741, en prévision d'un siège, on avait réparé tant bien que mal les fortifications de la Ville. Une batterie de 24 pièces fut établie sur les ruines de l'ancien fort Risban. D'autres furent construites à l'est, sur la plage. On forma le camp retranché du Rosendael. C'est vers la même époque qu'un fort fut bâti pour défendre l'écluse de Mardyck. 

Mais Dunkerque ne souffrit aucunement de la guerre. L'ennemi ne parut pas sous ses murs. Les marins dunkerquois profitèrent des hostilités pour faire de nouveau la course. L'état défectueux du port ne leur permettait pas des expéditions aussi importantes que par le passé. A cette époque, François Cornil Bart, fils de Jean Bart, et Antoine de Salvert, fils d'un lieutenant de port de Dunkerque, se distinguèrent l'un et l'autre par des actions d'éclat et arrivèrent dans la marine royale à des grades très élevés.

La paix, signée à Aix-la-Chapelle (1748), vint ravir au port de Dunkerque la modeste situation qu'il avait reconquise à force de travail et de persévérance. Les succès dans les Pays-Bas  permettaient certes à la France d'obtenir les conditions les plus honorables. Mais Louis XV, prince faible et sans caractère, ne sut que s'incliner devant les prétentions de l'Angleterre. Cette puissance en profita pour assouvir encore une fois les vieilles rancunes qu'elle nourrissait à l'égard de Dunkerque. L'article 17 du traité d'Aix-la-Chapelle stipulait que « Dunkerque resterait « fortifiée du côté de la terre, dans l'état qu'il est. Le côté de « la mer serait mis sur le pied des anciens traités ». Des ouvriers arrivèrent immédiatement pour démolir les travaux exécutés sur le port, notamment la batterie du Risban. Cependant on respecta les digues du chenal, ainsi que la petite écluse de Kesteloot.

Pendant les années qui suivent de 1748 à 1756, la France jouit d'une grande prospérité commerciale. Malgré la mauvaise situation du port, le trafic se développe dans une large mesure. La pêche du hareng et de la morue devient assez abondante. Le port reçoit annuellement plus de huit cents caboteurs étrangers. Les relations avec les Colonies françaises de l'Amérique sont de nouveau très actives. Dunkerque leur envoyait des carreaux de pierre de Boulogne, des marbres et des grès du Hainaut, des fromages et des chaises de Bergues, de la faïence et des étoffes de Lille, des cotonnades de Rouen, des toiles de Cambrai, des chapeaux castors de Paris, des étoffes de soie de Lyon, des ustensiles, outils, meubles, verreries, moulins à sucre, conserves, huiles, bières, légumes secs et des centaines d'autres articles. Les navires revenaient des Colonies avec des cafés, des cotons, des bois d'ébénisterie, du sucre, de l'indigo, du tafia, du cacao et autres produits de l'Amérique. La Bourse de Dunkerque a été construite pendant cette période (1754). Elle fut tout de suite très fréquentée par les négociants de la place. Celui qui suspendait ses paiements en était exclu. C'était pour lui la plus grande des humiliations.

Dans le même temps, on creusa une cunette communiquant avec le canal des Moëres. Elle se déchargeait dans le port par une  écluse à deux vannes, de quatre pieds et demi de passage chacune. Ce fut par ce moyen qu'on reprit le dessèchement des Moëres.

La guerre de sept ans, qui éclata en 1756, eut pour effet de ralentir toutes les transactions. Le maréchal de Belle-Isle fut envoyé à Dunkerque pour rétablir les ouvrages qui avaient été précédemment détruits. La Chambre de Commerce avança 600.000 livres au gouvernement pour remettre la place en l'état où elle se trouvait avant 1715. Le commerce, très éprouvé par la guerre, se dédommageait en faisant de nouveaux armements pour la course. Parmi les marins dunkerquois qui se distinguèrent alors, il faut citer les deux neveux de Jean Bart, Pierre et Benjamin, morts tous deux en luttant contre les Anglais, et Thurot, surnommé le « Duguay-Trouin II », qui fut un brillant corsaire.

Pendant la durée de la guerre, le port fut sérieusement amélioré. On vit successivement se relever : l'écluse de Bergues (1756), le bassin de la Marine et son écluse (1758), les quais en maçonnerie et en charpente du port jusqu'à l'écluse de la Cunette. Le long du chenal, le pied des digues fut affermi. Le canal de Bergues fut approfondi. On voulut un moment faire remonter les navires jusqu'à Bergues, où un petit bassin avait été établi pour les recevoir. Mais on ne tarda pas à reconnaître que ce projet était impraticable et il fut abandonné.

En 1762, des négociations furent ouvertes en vue de la paix. Les rumeurs les plus alarmantes circulèrent aussitôt. On prétendait que Dunkerque allait être encore une fois sacrifiée. La Chambre de Commerce, toujours en éveil, crut devoir prendre les devants. Elle adressa à Paris plusieurs mémoires ; elle y envoya également quelques-uns de ses membres pour défendre la cause du port. Toutes ses suppliques, toutes ses démarches furent inutiles. Une sorte de fatalité pesait lourdement sur Dunkerque. Le traité de Paris (1763) vint de nouveau consacrer sa ruine. L'article 12 disait : « Le port et la ville de Dunkerque  seront mis en l'état fixé par le traité d'Aix-la-Chapelle et les  traités antérieurs ; la Cunette sera détruite ainsi que les  forts et les batteries qui défendent l'entrée de la côte de mer. Sous la surveillance d'un commissaire anglais, on procéda à la démolition du bassin de la Marine et de son écluse, du canal de la Cunette et de ses vannes. L'écluse de Kesteloot fut maintenue. Des coupures furent faites dans les jetées. Malgré toutes les oppositions de l'Angleterre, l'écluse de Bergues resta telle qu'elle était. 

Tant de malheurs auraient abattu des natures moins fortes que celles des Dunkerquois. Jamais ils ne désespérèrent de l'avenir. Au milieu des ruines qui les entouraient, ils ne songèrent qu'à se relever, et, chose admirable, ils y réussirent.  En 1763, le trafic était presque mort à Dunkerque. Onze ans après, à la fin du règne de Louis XV (1774), on armait pour les Colonies ; 34 navires faisaient le cabotage de l'Océan et de la Méditerranée ; 68 étaient envoyés à la pêche de la morue ; 40, à la pêche du hareng. La navigation occupait plus de 2.000 marins. Le port recevait annuellement un millier de bâtiments français ou étrangers et près de douze cents smoggleurs  anglais.

L'industrie, surtout celle de la fabrication des tabacs, commence à se développer à Dunkerque pendant les dernières années du règne de Louis XV. On voit successivement s'établir une manufacture de toiles à carreaux, une verrerie, une fabrique de pipes, des raffineries de sel, une distillerie, deux tanneries, une manufacture de porcelaines et faïences. Cette dernière ne fonctionna qu'un an. La Ville possédait déjà quatorze brasseries. Il se fonde à Coppenaxfort, à quelques kilomètres de Dunkerque, une fabrique de toiles à voiles où viennent s'approvisionner en grande partie les voiliers de la Flandre et de l'Artois.

Source Emile Bouchet  1871

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