HISTOIRE " Dunkerque sous Louis XIV " de 1662 à 1715


Louis XIV fut si content de la nouvelle acquisition qu'il venait de faire qu'il s'empressa d'accourir à Dunkerque, où il fut reçu en grande pompe le 2 décembre 1662. Son premier soin fut de confirmer tous les anciens droits et privilèges de la Ville. 
Il lui accorda, en outre, sur les conseils de Colbert, l'entière franchise de son port. Cette dernière mesure fut accueillie avec beaucoup de reconnaissance par les habitants. 
Dunkerque se trouvait en mesure de faire désormais une concurrence redoutable au port d'Amsterdam. 
Les Hollandais, menacés dans leur trafic, réclamèrent, mais vainement, auprès de Louis XIV. Le privilège fut maintenu. 

Plus tard, en février 1700, le roi, par un édit spécial, institua à Dunkerque une Chambre de Commerce qui comprenait un Président, quatre Conseillers et un Conseiller  Pensionnaire. Ce fut la deuxième Chambre de Commerce établie en France. Elle avait pour mission de se réunir deux fois par semaine pour conférer sur  les moyens :
  • de faire fleurir  le commerce de la Ville, 
    de maintenir le crédit des marchands  et négociants, 
  • de prévenir « les désordres qui pourraient se commettre,   
    de  veiller sur tout ce qui était capable de bonifier et d'augmenter le commerce, tant au dedans qu'au dehors du royaume. 
  • Cette Chambre rendit à Dunkerque de nombreux et d'éminents services et fonctionna jusqu'à l'époque de la suppression des Chambres de Commerce, c'est-à-dire jusqu'au mois de septembre 1791.
Ce ne furent pas les seules marques d'intérêt que la Ville de Dunkerque reçut de Louis XIV. Le maréchal de Vauban reçut l'ordre de la transformer au point de vue militaire. 
Par des travaux considérables qui durèrent jusqu'en 1706, ce célèbre ingénieur, le plus grand du dix-septième siècle, fit de Dunkerque une place forte de premier ordre. 
Du côté de la mer, elle était protégée par six forts, « Aux extrémités des jetées on trouvait le fort Vert à l'est, et le fort de Bonne-Espérance à l'ouest. Puis, venaient en arrière, à droite du chenal, le Château-Gaillard ; à gauche, le fort Risban et le fort Revers. Sur la côte même, à l'est, se dressait le fort Blanc pourvus ensemble de 152 pièces de canon ». 
Le corps de place se composait d'une grande citadelle et d'une vaste enceinte bastionnée qu'entouraient des fossés pleins d'eau. 
Adossé aux remparts, un immense camp retranché se développait entre le canal de Bourbourg et le canal de Furnes, s'appuyant sur le fort Louis et le fort François, dans la direction, de Bergues.
 Tout cela constituait un ensemble de défenses formidables. De nouvelles casernes furent construites pour la garnison.
L'écluse de Bergues fut restaurée. Le canal de Bourbourg fut creusé en 1670 et son écluse établie en 1704. 
Le chenal fut prolongé par des jetées de douze cents mètres de longueur. 
Dans le fond du port, on construisit, avec des quais en maçonnerie, le bassin de la Marine, où une escadre de quarante frégates pouvait être maintenue à flot. 
Autour de ce bassin furent édifiés des corderies, un arsenal pour la marine de L’État. 
 
L'arrière-port fut approfondi et aménagé pour la construction et le lancement des navires de guerre. 
Cinquante-quatre vaisseaux de tout rang furent construits en peu d'années dans les chantiers de Dunkerque. 
Un hôtel fut bâti pour l'Intendance maritime dans le jardin du Parc. Des habitations et des bureaux pour les services de la Marine y furent également édifiés.
La Ville présentait alors un aspect tellement imposant.  
L'honneur et la sécurité de la France Maritime.
Les Dunkerquois répondirent aux nombreuses faveurs dont ils étaient l'objet par un dévouement sans bornes à leur nouvelle patrie. 
Le traité d'Aix-la-Chapelle (1668), qui mettait fin à la guerre du Droit de Dévolution,  laissa à la France une partie des places conquises en Flandre, notamment Bergues, Furnes, Lille, Douar, Tournay….. Dunkerque cessa d'être comme une forteresse isolée en pays ennemi. 
Par ses armements, qui furent considérables, la Ville prit une part importante aux guerres de Hollande (1672-79), de la Ligue d'Augsbourg (1683-97) et de la succession d'Espagne (1701-1713). 
Ce furent de beaux jours pour les  corsaires dunkerquois, surtout pour  Jean Bart. 
 Né à Dunkerque le 21 octobre 1650, d'un père lui-même corsaire, Jean Bart navigua dès l'âge de douze ans, et fit ses premières armes dans la flotte de Ruyter, le célèbre amiral hollandais. Il rendit d'inappréciables services au Roi de France qui le créa successivement lieutenant de vaisseau (1679), capitaine de frégate (1686), capitaine de vaisseau (1695), enfin chef d'escadre (1697), et lui accorda des lettres de noblesse. Les captures, les coups de main, les traits d'audace, les exploits de Jean Bart sont très nombreux.
Voici ses deux plus beaux faits d'armes.
La France, en 1694, souffrait cruellement d'une disette causée par une mauvaise récolte. Le roi fit acheter des blés en Suède et au Danemark. Au mois de juin, Jean Bart reçoit l'ordre de se porter, avec plusieurs vaisseaux, à la rencontre du convoi qui, escorté de quelques navires de guerre suédois  et danois, ramenait ce blé en France. Au-dessus des bouches de la Meuse, il croise une escadre hollandaise qui venait précisément de capturer le convoi nous sommes  le 29 juin. 
N'écoutant que sa bravoure, il se jette avec des forces bien inférieures, sur les navires ennemis. A son exemple, les marins français s'élancent à l'abordage. Jean Bart, en personne, enlève le vaisseau amiral  deux autres sont pris par nos frégates ; le reste s'enfuit. La flottille est ramenée dans nos ports et le prix du blé fut divisé par 10.
Le 18 juin 1696, affaire plus brillante encore. Trompant la surveillance d'une flotte qui bloquait Dunkerque, il avait gagné les côtes de la Hollande avec sept navires de guerre. Près du Texel, il rencontre quatre-vingts bâtiments de commerce hollandais que convoyaient cinq vaisseaux de guerre de même nationalité.
Il emporte ces derniers à l'abordage, capture les autres, et allait faire voile vers la France avec son immense butin, quand apparaît à l'horizon une nouvelle escadre hollandaise, forte de treize vaisseaux. La lutte cette fois serait trop inégale.
Jean Bart refuse le combat, brûle la moitié de ses prises à la barbe de l'ennemi et avant que celui-ci ait songé à l'attaquer, il est déjà hors d'atteinte, voguant vers les ports de la Norvège, d'où il revint au mois d'octobre suivant.
Jean Bart mourut à Dunkerque, à l'âge de cinquante-deux ans, le 27 avril 1702. Très désintéressé pendant toute sa vie, il ne laissait qu'une médiocre fortune. Louis XIV eut soin qu'une pension de 2.000 livres fut servie à sa veuve.  
Les nombreux succès des flottes et des marins de Dunkerque exaspéraient les ennemis de la France. A diverses reprises, ils essayèrent d'en tirer vengeance.
D’autres corsaires dunkerquois  s'illustrèrent sous Louis XIV, il faut citer aussi Mathieu Dewulf, Pierre Fréraert, Cornil Saus
Le 20 septembre 1694, une flotte anglo-hollandaise, sous les ordres de l'amiral Shovel, vint s'embosser dans la rade. Elle commence par diriger un feu très vif sur les forts placés en tête des estacades. Ceux-ci ripostent vigoureusement. Elle lance ensuite contre eux, pour les incendier, deux brûlots. Mais les défenseurs les font adroitement sauter en mer, à bonne distance des forts qui ainsi ne sont pas atteints. La flotte ennemie se retire. 
Le 11 août 1695, nouvelle tentative dirigée par l'amiral anglais Berkeley. Pendant plusieurs heures, douze galiotes, seize frégates font pleuvoir sur les abords de la Ville une grêle de bombes et de boulets, sans cependant causer de sérieux dommages. 
L'artillerie de la place répond par une canonnade bien nourrie. Dans le chenal, une batterie flottante
Défend  par son feu l'entrée du port. 
Des chaloupes armées, placées sous le vent des forts, font dévier les brûlots. Finalement, l'ennemi disparaît, n'ayant pas mieux réussi que l'année précédente.
Dans la suite, Dunkerque servit, à deux reprises différentes, de lieu d'embarquement pour les expéditions que Louis XIV avait organisées en vue de rétablir les Stuarts sur le trône d'Angleterre. Cet essai de restauration échoua, mais les Anglais devaient s'en souvenir quelques années plus tard.
Nous voici arrivés aux plus mauvais jours de l'histoire de Dunkerque. Trahi par la fortune, réduit à l'impuissance, Louis XIV est contraint de subir à son tour les exigences de l'Europe qu'il avait lassée par ses hauteurs et ses prétentions.
En 1712, la Grande-Bretagne consent à retirer ses troupes de la coalition formée alors contre la France, mais Dunkerque doit lui être remise, à titre de gage, jusqu'à la paix générale (Armistice du 14 janvier). 
Le 19 juillet, la Ville reçoit, en conséquence, une garnison anglaise. La consternation fut grande à Dunkerque. On avait le pressentiment d'un malheur. 
Le désastreux traité d'Utrecht, signé en 1713, vint enlever aux dunkerquois leurs dernières espérances. 
L'article 9 du traité disait que : « le Roi très chrétien ferait raser les fortifications de Dunkerque,  combler le port, ruiner les écluses qui servent au nettoiement  du port, le tout à ses dépens et dans le terme de cinq mois ».
La Chambre de Commerce dépêcha immédiatement en Angleterre son Conseiller-Pensionnaire, messire Ignace-Thomas Tugghe, beau-frère de Jean Bart. 
Il devait plaider à Londres la conservation du port marchand, afin que la Ville de Dunkerque fut mise au moins en état de continuer la pèche du hareng et « quelques autres petits commerces le long de la côte. Le Conseiller Tugghe se heurta à un mépris  général et revint en France sans avoir obtenu la moindre concession des ministres de la Reine d'Angleterre .
Les habitants eurent la suprême douleur de voir tomber, l'un après l'autre, sous les coups des démolisseurs, les forts, les jetées, les écluses, les remparts, tous les éléments en un mot de leur prospérité, de leur honneur, de leur sécurité. 
Le 6 juin 1714, ordre fut donné de faire sortir les derniers navires du bassin. A la hauteur du Leughenaer, on forma un batardeau énorme, de deux cents mètres de largeur, qui fermait complètement le port. La ruine de Dunkerque était consommée.
Cette situation épouvantable ne pouvait se maintenir indéfiniment. Les eaux, faute d'écoulement à la mer, menaçaient d'envahir et d'inonder les campagnes environnantes. L'intendant de Flandre, M. Leblanc, proposa alors la construction  d'un canal maritime qui partant de Dunkerque aboutirait à l’emplacement de la fosse de Mardyck. L'idée de ce canal avait été émise pour la première fois en 1653 par un ingénieur espagnol, Florent van Langren.
Ce projet fut accueilli avec empressement par Louis XIV. Les travaux commencèrent immédiatement. L'espérance renaissait dans tous les cœurs. Des subsides furent demandés aux habitants du pays plat, même à ceux de Bruges et de Lille. Pour sa part, Dunkerque versa, à titre de contribution volontaire une très forte somme.
Le canal et son écluse, auxquels travaillèrent sans relâche douze bataillons d'infanterie, furent terminés en moins d'un an. 
L'inauguration du nouveau port se fit en grande pompe le 26 février 1715
 Le canal de Mardyck avait 85 mètres de largeur moyenne et 6 mètres 50 de profondeur. Son écluse, la plus belle de l'Europe,   possédait deux passages, l'un de 14 mètres 30 de largeur pour les vaisseaux de premier rang, l'autre de 8 mètres 50 pour les petits bâtiments. La longueur de l'écluse était de 92 mètres.
L'Angleterre s'efforça naturellement d'empêcher les travaux dont il vient d'être question. Le vieux Roi eut le courage de fermer l'oreille à toutes les criailleries qu'elle fit entendre à ce propos. Il passa outre et mourut après avoir eu la satisfaction d'apprendre qu'une frégate de 34 canons avait pu passer le canal pour arriver à Dunkerque.
 source Emile Bouchet 
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