LES BONNES HISTOIRES DE BATICHE : Quand on se perd dans les nouvelles rues de Dunkerque.
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Pour un retour aux
Maurice Bèle (1895/1975) alias BATICHE était journaliste au Nouveau Nord puis à la Voix du Nord au début des années 50 il écrivait ses chroniques sous le pseudo de Batiche.
QUAND ON SE PERD DANS LES NOUVELLES RUES DE DUNKERQUE (1961)
Ce Bernâ’ c’est en effet un employé de la SNCF et justement je le retrouvais en gare.
D’ailleu’ il avait encore sa caquette sur sa tête en drap.
Oueille, Batiche, j’suire en retraite et j’ viens souvent ici pou’ m’distraire.
J’ai bien un m’tit jardin à la cité des cheminots, mais tu sais une fois qu’en a planté et semé et tiré les mauvaises herbes on tourne et on retourne.
Finalement on se sent tout drôle de ne plus devoi’ arriver à l’heure au travail. Et puis ma femme c’est une rouscailleuse. Vois-tu Batiche quand j’étais chef de train je partais une saine journée de long avec mon quatr’heû’ et un peule d’aboî’. On était habitués, ma femme et moi à vivre l’un sans l’aut’. On s’entendait bien. Asteû’ si je mets la main à quelque chose Sarah – c’est le m’tit nom de ma femme- elle groûme : tu touches pas à mon buffet avec tes pattes crasseuses. Garde, t’as fait tomber du café sur mon prop’ réchaud à gaz. Dousque t’as mis mon propt’che d’bleu ? Depuis que t’es à la maisonne, je ne trouve plus rien.
Si je l’aide à faire la vaisselle elle trouve que les vê’ de biê’ ils ont encore des skumet’je sû la bordure ou des catepouches. J’entends groumer une sainte journée de long.
Alô j’prends le parti de vadrouiller. Je viens en gare où je retrouve de copains et où c’est même rigolo. Tu vois des voyageurs qui arrivent outres d’avoî’ couru leurs pattes en bas pour par manquer leur train. La femme elle reproche à son veint’che de l’avoir fait attendre à cause de sa pipe qu’il ne retrouvait pas. L’homme lui en veut d’avoir leulé avec sa poudre de riz et son rouge à lèvres. Les gosses, tout à coup, ils ont leur tite ou leur grosse commission à faire et les parents leur demandent de se retenir jusque dans l’train.
Et puis ils sont là qu’ils cherchent auprès de leurs billets. La mê’ elle fouille son sac à main dousqu’il y a un tas de fouffes et elle est sûre et certaine que c’est l’pê’, un sans ordre comme pas un, qui les a. Finalement on les retrouve dans une tite poche du gilet, quand ils ne sont pas restés à la maisonne sû’ l’buffet où il faut aller les chercher et prendre le train suivant.
Avant de passer le portillon, les famires font l’appel des colis et des enfants. C’est bien rare qu’il n’y a pas un mousse en rac devant un manicrac à bonbons.
Quand j’suite en gare avec ma casquette les gens viennent me consulter poû’ savoir par exemple à quelle heû’ part le train de 8 heû’ 47.
Tu sais pas Batiche que, dimanche dernier, j’suis là à regarder les nouveaux arrivés lorsqu’il y a un veint’che avec sa femme qui m’accoste : -pardon M’sieur l’ chef de gâ’ pour aller dans l’centre de Dunkerque, c’est bien tout droit. Nous on est des anciens Dunkerquois. Avec la guê’ les parents ont évacués et on a échoué dans la Vienne où on est resté et où à présent le père et la mère sont enterrés. On a presque peur de se perdre ici, surtout si tout a été démoli. Vous ne pourriez pas nous faire un pas de conduite ?
Tout de suite, le veint’che m’offre une cibiche et m’invite à boire une pinte. Je ne pouvais pas refuser. Je devenais tout à coup un guide. Je vais même demander au Syndicat d’initiative s’il n’y a pas des bret’ches pour ceux-lalles qui font visiter la ville.
Ben garde Batiche comme c’est drôle. Tout de suite l’homme se prèsente comme s’appelant Ernest et il me propose de lui dire Nèche, tellement qu’en retrouvant Dunkerque il était heureux de retrouver les mots dunkerquois.
-C’est bien un picon d’dockê’ qu’on appelle une pinte de biê’ ? Mon père et ma mê’ ils habitaient rue d’Sainte Barbe près de chez Mennebo, un swaetelaere qui vendait toutes sortes de choses : des pocres, des bleck’ches, des zwint’ches et même des clint’ches, il était fripier. Moi j’allais à l’école des frê’ et j’aimais bien de snustre à l’hôtel des ventes à côté où ma mê’ venait souvent, dans l’espoî’ de faire des diops. Ma sœur allait à sainte-Marie rue du Sud.
-Est-ce qu’on pourrait pas passer par là poû’ arriver place Jean-Bâ, ?
C’est incroyable comme ce Néche de la rue d’Sainte-Barbe avait rechopé l’accent.
On s’était donc mis en route et rue du Sud Nèche n’en revenais pas que tout un bloc militaire était par terre. – C’était l’ancien génie devenu mauvais génie. A côté c’est le recrutement qui va aussi être démoli, mais voilà on n’sait pas quand. L’quartier Sud, c’est presque devenu un quartier résidentiel comme à Biarritz, les habitants ont des aubades d’accordéon sur leur zelt’che.
Par la rue Gambetta on avait gagné la place Jean Bâ’ il n’en a vu de toutes les couleurs. Il était entouré de baraquements, dont les cheminées lui envoyaient des bouffées qui n’étaient pas des bouffées de tabac. Nèche ne reconnaissait plus la place. Il ne comprenait pas pourquoi le beffroi est encore entouré d’échafaudages. Je lui indique alô’ que c’était sans doute poû’ le maintenir bien droit, quelquefois qu’il se changerait en tour de pise.
Les travaux de restauration sont finis seulement le Ministê’ des Beaux-A’, qui loue sans doute ce matériel va peut-être le maintenir pour que les pompiers s’exercent à cruper ; à cause qu’ils ont besoin d’une cage à poule, celle du parc de la Marine étant trom’tite pour eux.
Figure-toi Batiche que le Nèche dont je te parle voulait revoir la rue Sainte-Barbe.
D’ailleû’ je n’arrivais plus à répondre aux questions qui n’étaient posées. Je jouais à cache-cache avec Les rues du château, Royer, de Bourgogne, Thevenet. Tout comme j’oubliais que la rue Sainte-Barbe est devenue le boul’vâ’ Sainte-Barbe.
J’peux pas encore faire un guide et je suis bien sûr que la plupâ’ des Dunkerquois sont aussi embarassés que des Kat’ches qui ne retrouvent plus leurs jeunes.
Aussi mon ami Bernard a-t-il d’abord bien étudié les nouvelles rues pour éviter de faires de beutes en essayant de renseigner tout un chacun.
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