DUNKERQUE SOUS LE REGNE DE LOUIS XVI de 1774 à 1792



DUNKERQUE SOUS LOUIS XVI de 1774 à 1792

Source Emile Bouchet 1870

L'avènement de Louis XVI fut salué par des cris de joie et d'espérance . A Dunkerque surtout, l'enthousiasme fut extrême lorsque le comte d'Artois, plus tard Charles X, un an après l'avènement de son frère (juin 1775), annonça à la population en fête que le roi l'exemptait des impositions extraordinaires qui pesaient sur elle.
Louis XVI, jaloux de la grandeur nationale, aurait voulu rendre à Dunkerque son ancienne prospérité. Aussi témoigna-t-il au commerce de la ville le plus bienveillant intérêt.

Non content d'encourager les armements pour l'Islande, en accordant des primes aux équipages qui rapporteraient la pêche la plus abondante, il provoqua encore les arrivages de blé et favorisa la création de plusieurs fabriques. En même temps les anciens établissements se relevèrent : la fabrique de toiles à voiles fondée à Copenaxfort en 1760, la distillerie royale créée dans le quartier de la Citadelle par le Hollandais Niewindt, les manufactures de tabac prirent un développement considérable; mais, comme sous le règne précédent, la guerre avec l'Angleterre vint arrêter cet élan.
Les colonies fondées par les Anglais dans l'Amérique du Nord jouissaient depuis longtemps d'une liberté presque complète, lorsque la métropole voulut, sans leur consentement, frapper de droits onéreux certains objets de consommation. Elles réclamèrent vivement, et leurs plaintes n'ayant pas été écoutées, elles se révoltèrent [1775] et envoyèrent des députés à Paris pour demander le secours de la France. Louis XVI redoutait une guerre, qui devait être essentiellement maritime, contre des ennemis si puissants sur mer. Cependant, poussé par le sentiment public, il se décida à changer l'assistance déguisée qu'il avait d'abord prêtée aux Américains en une alliance ouverte. Un traité de paix et d'amitié fut signé avec eux le 6 février 1778. Aussitôt les Anglais commencèrent les hostilités.
Déjà Dunkerque avait reçu, en prévision de cette lutte, l'ordre de n'envoyer aucun navire en Islande. Cependant, la déclaration de guerre fut bien accueillie par les habitants; elle souriait à leur courage, et ils virent surtout avec joie le commissaire anglais quitter leur port et retourner en Angleterre.
Les fortifications en ruines furent aussitôt réparées; pour protéger la ville du côté de la mer, une batterie de douze pièces et de quatre mortiers fut élevée à l'ouest du port sur l'ancien Risban; à l'est, on en construisit une seconde en pierres et fascines sur l'ancien fort Blanc, et deux autres encore sur la côte, à Zuydcoote et à Leffrinkouke.
La guerre ne tarda pas à rendre le commerce maritime presque impossible. Les navires destinés à l'Islande étaient obligés de naviguer sous pavillon neutre, parce que Louis XVI avait vainement demandé que, des deux côtés, les pêcheurs pussent exercer en paix leur industrie ; aussi les armements avaient-ils diminué; mais la course donnait des bénéfices considérables, et c'est alors que commencèrent à se signaler quelques-uns des marins qui devaient se rendre célèbres plus tard, sous la République et l'Empire: Vanstabel, L'Hermite, Plucket, Leduc, Blankeman, et parmi ceux qui périrent glorieusement à cette époque, l'héroïque Royer.

Admirateur passionné de Jean Bart, Royer marchait dignement sur ses traces. Jamais il ne rentrait au port sans de nombreuses prises qu'accueillaient les acclamations enthousiastes de ses concitoyens.
Le bruit de ses hauts faits arriva jusqu'à la cour; Louis XVI, pour le récompenser, lui envoya une épée d'honneur.
Par les exploits de ses marins, Dunkerque rajeunissait sa vieille renommée. Lorsque, après cinq ans de guerre, la paix fut signée entre la France et l'Angleterre, ses corsaires avaient capturé seize cents navires montés par cinq mille huit cent soixante treize hommes d'équipage. Cette paix était désirée; mais, avertis par de cruelles expériences, les Dunkerquois se demandaient avec anxiété ce que le traité stipulerait à propos de leur port. Heureusement l'intendant put écrire à la Chambre de commerce : « On « n'a pas encore, Messieurs, publié les conditions de « la paix; mais il est certain qu'il n'y aura plus de « commissaires ni de sujétions humiliantes à Dunkerque. » En effet, le traité définitif signé à Versailles le 3 septembre 1783 effaçait l'article 9 du traité d'Utrecht. Cependant le commerce ne se relevait que lentement : les négociants étrangers avaient perdu l'habitude d'envoyer leurs navires à Dunkerque; il en résultait de nombreuses faillites. La ville s'appauvrissait de jour en jour, lorsqu'un acte libéral de Louis XVI vint la sauver. A la demande des Dunkerquois, il confirma, par une ordonnance du 19 mars 1784, les privilèges de la ville : « Nous maintenons et conservons, disait-il, la ville, le port, le havre et les habitants de Dunkerque dans leurs « lois, coutumes et usages, ainsi que dans les droits, privilèges, franchises et exemptions dont ils ont « joui avant et depuis les lettres-patentes du mois « de novembre 1662 et 16 février 1700.
Cette déclaration royale eut les plus heureuses conséquences ; elle attira les navires qui, depuis la guerre, s'étaient éloignés de Dunkerque. Au mois de septembre 1785, vingt-trois d'entre eux rapportaient des colonies de riches cargaisons, et l'encombrement était tel que deux bâtiments chargés de sucre ne purent trouver de magasins pour déposer leurs marchandises. Il y avait longtemps qu'on n'avait vu une semblable activité à Dunkerque. La pêche de la morue, en 1783, produisit 1 343 347 livres de poisson! En outre, le roi vint en aide à quelques négociants qui cherchaient a armer pour la pêche à la baleine. Voici à quelle occasion :

En 1785, les habitants de la petite ile de Nantucket, dans l'Amérique du Nord, se trouvaient dans la situation la plus pénible.
Ils se livraient presque exclusivement à la pêche de la baleine; la guerre de l'indépendance avait ruiné leur industrie et, à la paix, l'impôt dont les Anglais frappaient l'importation de leurs produits en rendait l'écoulement très difficile. Réduits à la plus grande détresse, ils demandèrent au gouvernement britannique l'autorisation d'émigrer en Angleterre. Cette autorisation leur fut refusée, on ne sait pour quelle raison. Alors, sur le conseil d'un Dunkerquois, François Coffyn, ils se tournèrent vers la France et supplièrent Louis XVI de les recevoir. Leur demande fut accueillie avec empressement. Aussitôt une grande partie de la population nantuckoise vint à Dunkerque et s'établit dans le quartier de l'ile Jeanty. Les armements commencèrent bientôt; mais la concurrence des Anglais nuisit à leur succès, et le gouvernement, qui les avait d'abord soutenus, les découragea par son indifférence. Enfin, la révolution, en arrêtant toutes les transactions commerciales, acheva la ruine des baleiniers. Depuis lors, toutes les tentatives faites par les maisons de Baecque, Morel, Bonvarlet ont également échoué, et cette industrie que des Français, des marins de Bayonne et de Dieppe, avaient inaugurée dès le XIIe siècle, a été presque entièrement abandonnée en France. C'est maintenant la marine américaine qui en possède le monopole.
Dunkerque, cependant, continuait à prospérer. Une fois seulement, en 1788, la disette y causa quelques désordres. Ce trouble fut passager; mais l'agitation profonde qui régnait à Paris ne devait pas tarder å se faire sentir dans notre ville. La révolution allait éclater.
Cédant à la pression des événements et aux vœux unanimes de la France, Louis XVI avait convoqué les États-Généraux qui devaient opérer dans l'État tout entier les réformes nécessaires.
A Dunkerque, comme dans toute la France, la population, convoquée par la municipalité, se réunit dans ses comices, pleine d'ardeur et d'espérance, puis nomma vingt-quatre délégués chargés de représenter la ville à Bailleul, où le député du bailliage devait être élu. Ces délégués rédigent le cahier des doléances qu'ils veulent présenter à Sa Majesté. Dans les soixante-cinq articles de ce cahier, ils demandent, entre autres choses, une Constitution qui assure à la fois les droits du roi et ceux de la nation, des ministres responsables envers elle, la liberté individuelle, l'abolition des lettres de cachet, de l'exil, des peines arbitraires, le jugement des citoyens par leurs juges naturels, c'est-à-dire par le jury, la réforme des lois civiles et criminelles, la répartition de l'impôt par les députés, l'augmentation du traitement des curés et des vicaires, l'instruction gratuite. Enfin, ils formulent un article, qui plus tard devait être dirigé contre eux, par lequel ils réclament l'abolition des privilèges en fait de manufactures [mars 1789].
Les États-Généraux, qu'on attendait avec une impatience mêlée d'espoir, s'ouvrirent enfin le 5 mai 1789, au milieu de l'allégresse générale. Mais les événements se précipitent avec une rapidité et une violence qui dépassent toutes les prévisions. Les États Généraux se transforment aussitôt en une Assemblée nationale qui s'attribue le droit de donner une Constitution à la France. Le roi, indécis entre les exigences de l'Assemblée et la résistance de la cour, ne sait ni maîtriser ni diriger l'agitation populaire; la Bastille est emportée le 14 juillet. La Révolution était commencée.
Le lendemain, une garde nationale s'organisait à Paris. Cet exemple fut suivi à Dunkerque. Six compagnies, auxquelles se joignirent les confréries de Saint-Georges et de Saint-Sébastien, se formèrent et élurent Emmery pour colonel.

 Le 20 août, cette garde nationale prêtait le serment d'être fidèle  « à la Constitution, à la loi et au roi. »
La disette dont souffrait la capitale se faisait aussi sentir dans les provinces. La municipalité de Dunkerque essayait, mais en vain, de calmer la population déjà excitée par des pamphlets révolutionnaires et par un journal intitulé le Point du Jour, qui se publiait dans la ville. Pour protéger le transport des blés, on dut faire escorter les voitures par des troupes. La municipalité, qui voulait distribuer du pain au peuple et former une réserve de grains, supprima les pensions et les fêtes, afin de se procurer de l'argent avec lequel elle acheta dix mille sacs de blé. Les meubles de l'intendance furent vendus dans la même intention.
La révolution grandissait de jour en jour. L'impuissant Louis XVI avait été ramené de Versailles à Paris par le peuple révolté (5 et 6 octobre). Une partie de la noblesse avait déjà quitté la France et se réunissait au delà du Rhin. L'émigration était devenue une mode. Louis XVI voulut aussi s'enfuir; mais il fut arrêté à Varennes , ramené à Paris et suspendu de ses fonctions (juin 1791].
L'Assemblée continuait le cours de ses travaux : elle avait commencé par effacer l'ancienne division par province. La France était partagée en départements subdivisés en arrondissements, cantons et communes (15 janvier 1790). Dunkerque se trouva faire partie du département du Nord et de l'arrondissement de Bergues.
Une crise financière devenait de plus en plus imminente. Pour la prévenir, le comité des finances proposa de déclarer que le clergé n'était pas propriétaire, mais seulement administrateur des biens que les fidèles lui avaient donnés, et que, par conséquent, ces biens pouvaient être vendus au profit de l'État (2 novembre 1789). L'Assemblée fit plus encore: elle décréta la constitution civile du clergé, abolit les vœux monastiques et supprima tous les ordres et congrégations. Le clergé résista ; il fut persécuté. Ces mesures violentes et impolitiques soulevèrent les consciences; 

A Dunkerque, elles rencontrèrent une vive opposition, celles surtout qui concernaient les couvents, et la municipalité ne craignit pas de demander « le maintien, sans exception, « de toutes les maisons religieuses établies à Dunkerque.  Cette demande ne fut pas écoutée ; il fallut obéir aux ordres de l'Assemblée. Les couvents furent séquestrés, les religieux dispersés et leurs propriétés vendues.
Dès qu'on eut appris, à Dunkerque, que Louis XVI avait tenté de s'enfuir à l'étranger, les officiers de la garnison gagnèrent la frontière, emportant avec eux la caisse et le drapeau du régiment. Aussitôt les soldats s'agitent, on craint une émeute. Alors Emmery se précipite à la caserne et cherche à les apaiser. « Vous regrettez votre drapeau, s'écrie-t-il; acceptez celui « que je vous offre : c'est celui de la garde nationale de Dunkerque; qu'il vous guide toujours au chemin de l'honneur. » A ces paroles, les soldats se calment, rentrent dans le devoir, et la tranquillité se rétablit pour quelque temps dans la ville. Cependant, le 30 septembre 1791, l'Assemblée constituante, restituant au roi ses pouvoirs, déclare que sa mission est terminée. La nouvelle Constitution avait été promulguée; le roi avait juré de l'observer, et le gouvernement semblait n'avoir plus qu'à suivre une marche régulière. Les espérances de tranquillité commençaient à renaître lorsqu'on apprit que les Autrichiens et les Prussiens, à l'instigation des émigrés, se préparaient à envahir la France dans le dessein d'y rétablir l'ancien état de choses. Des troubles, cette fois plus graves, éclatèrent de nouveau. 

Emmery, alors député à l'Assemblée législative, qui avait succédé à la Constituante, n'était plus au milieu de ses concitoyens pour maintenir l'ordre. Le peuple, exaspéré par la disette, accuse quelques négociants d'accaparer les blés. Le 14 février 1792, il se porte en foule contre les maisons de ceux qu'il soupçonnait, MM. de Saint-Laurent, Biscays, Dourlen, Herwyn. Rien ne peut l'arrêter; il brise les portes, saccage tout ce qui lui tombe sous la main, jette les meubles par les fenêtres, et n'abandonne les maisons qu'après les avoir complètement dévastées. Deux jours se passent avant que la garde nationale revienne de sa stupeur. Alors la municipalité fait publier  la loi martiale qui autorisait à tirer sur les émeutiers, et, le 18, des députés se rendent à Paris pour donner des explications sur ces événements. Par un décret, la commune fut condamnée à payer 20,000 livres aux victimes du pillage; mais, l'année suivante, le décret fut rapporté, sous prétexte que c'étaient des émissaires du ci-devant roi qui avaient été la cause du tumulte, et les 20,000 livres furent mises à la charge du Trésor, qui ne les acquitta pas. Une vive agitation régnait toujours dans les esprits ; les officiers de la garnison écrivaient à Paris qu'ils ne répondaient pas de l'ordre; et, en effet, le 10 mars, le peuple courait au port dans l'intention d'incendier les navires chargés de blé. On eut beaucoup de peine à empêcher ce malheur.
Pendant ce temps, Paris était de plus en plus au pouvoir des révolutionnaires. Dirigé par eux, le peuple envahit les Tuileries et menaça même la vie du roi. Le manifeste du duc de Brunswick, général en chef des armées prussienne et autrichienne, qui sommait la France de rétablir Louis XVI dans tous ses droits, mit le comble à sa fureur. Il y répondit
en attaquant de nouveau les Tuileries. Les Suisses qui les défendent sont massacrés, et le roi est obligé de chercher un refuge au sein de l'Assemblée. Celle-ci prononce aussitôt sa déchéance et le fait enfermer à la prison du Temple, d'où il ne devait sortir que pour monter sur l'échafaud. Enfin, le 21 septembre 1792, la Convention, dès son entrée en session, déclare que la royauté est abolie, et proclame l'établissement de la République. 

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"3 dates importantes pour la république:

- 20 septembre  1792 Victoire de Valmy.

- 21 septembre 1792  Abolition de la royauté.

- 22 septembre 1792 la convention (sur proposition de Danton) proclame  l'an I de la république"

Mais le mois de septembre 1792 est  également resté tristement célèbre par l'action des septembriseurs.



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